La confiance, chaînon manquant de la réforme du travail

February 26, 2016 Politiques publiques

Avec la réforme annoncée du droit du travail, le gouvernement cherche à favoriser l'emploi en renforçant la place du droit conventionnel, issu de la négociation collective. Certes, les partenaires sociaux peuvent trouver un juste compromis entre efficacité économique et protection des travailleurs, des exemples étrangers l'ont montré, mais cela peut-il être le cas en France ?

Question cruciale : ces accords doivent-ils être élaborés au niveau de l'entreprise, du secteur ou de l'ensemble de l'industrie ? Sur ce point, et lorsqu'il s'agit de négociation salariale, il convient d'après les économistes Calmfors et Driffill de privilégier les solutions extrêmes : la négociation au niveau national prend en compte les effets potentiellement négatifs des hausses de revenu - inflation, perte de compétitivité. Lorsqu'elle se situe au niveau de l'entreprise, la pression concurrentielle joue un rôle modérateur. En revanche, ces deux effets ne jouent pas dans le cas d'une négociation à un niveau intermédiaire, ce qui facilite les ententes au détriment de la concurrence et de l'emploi. En d'autres termes, le pire des systèmes serait celui adopté par la France, où l'on dénombre près de 1.000 branches sectorielles.

Bien sûr, la réalité est plus complexe, notamment car de nombreux pays ont mis en oeuvre une structure à deux étages. Certains, comme la France, ont instauré une hiérarchie très rigide : les accords d'entreprise ne pouvaient déroger aux accords de branche qu'à la condition de ne pas être défavorables aux salariés. En Europe, les entreprises contraintes par ce « principe de faveur » n'ont pu durant la crise négocier une baisse des heures travaillées en échange d'un maintien dans l'emploi, selon une analyse récente de l'économiste Tito Boeri. A contrario, le renouveau de l'économie allemande, puis la bonne tenue de l'emploi durant la crise s'expliqueraient en grande partie par la mise en place dès les années 1990 de clauses dérogatoires permettant aux comités d'entreprise de mener librement des négociations autour des salaires et de la durée du travail.

En incitant les branches à fusionner entre elles tout en donnant un rôle plus important aux accords d'entreprise, le gouvernement semble donc suivre une voie prometteuse. Pour autant, de telles réformes ont généralement des effets négatifs sur l'emploi à court terme car elles viennent dégrader la confiance entre partenaires sociaux. Les économistes Brandl et Ibsen ont récemment analysé les données disponibles sur une période de quarante-cinq ans dans 33 pays développés. Leur conclusion est sans appel : qu'il s'agisse de centraliser ou de décentraliser les négociations collectives, ce type de réforme a un impact négatif sur l'emploi dans les quatre années qui suivent ! Or l'ingrédient clef expliquant cette observation, la confiance, est particulièrement faible et sensible dans un pays comme la France.

A cet égard, la méthode suivie par le gouvernement pose un vrai problème. Derrière l'affichage en faveur du droit conventionnel, le projet tend à contourner les syndicats en leur imposant les accords d'entreprise - a contrario, ce sont les syndicats allemands qui ont accordé les clauses dérogatoires aux comités d'entreprise. Certes les syndicats français ont été bien timides sur ce point depuis la loi du 4 mai 2004 qui permettait de telles dérogations, mais il aurait été plus judicieux de procéder à une réforme de grande envergure, couvrant les allocations chômage et la formation professionnelle, afin d'offrir un véritable donnant-donnant aux salariés dans l'esprit de la « flexisécurité ». In fine, sur des questions essentielles telles que le licenciement économique, le projet de loi se contente de codifier des éléments de jurisprudence en laissant une marge infime à la négociation collective et sans offrir la moindre contrepartie à des salariés que ces changements même minimes pourraient tout de même inquiéter. C'est à la fois dérisoire et provocateur. De quoi détériorer encore davantage le dialogue social !

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