Les limites de la compensation carbone

July 10, 2025 Environment

Le principe de la compensation carbone est a priori gagnant-gagnant pour les Européens qui polluent et les pays en développement où naissent des projets écologiques. Mais le dispositif a des limites.

Après cette période de canicule, il est intéressant de se pencher sur l'un des mécanismes conçus pour lutter contre le réchauffement climatique: la compensation carbone. Il s'agit de permettre à un acteur économique de continuer à polluer en échange du paiement d'un service environnemental.

Le "mécanisme de développement propre" (MDP) mis en place dans le cadre du protocole de Kyoto autorise ainsi des entreprises à financer des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des pays en développement, en échange d'un droit à polluer. Du côté des compagnies aériennes, le système Corsia est supposé les conduire à compenser leurs vols internationaux via l'achat de crédits carbones finançant, par exemple, des projets de conservation forestière en Amazonie.

Ce mécanisme permet des transferts des pays développés vers les pays en développement pour réduire le réchauffement de notre planète, et ce de façon politiquement acceptable - on imagine mal la France lever un impôt supplémentaire pour financer directement des parcs éoliens en Inde ou des forêts au Brésil! Un principe a priori gagnant-gagnant: il est moins coûteux pour un Européen de payer pour éviter l'émission d'une tonne de CO2 en Inde que de chercher à le faire chez lui !

L'enjeu est considérable puisque près des trois quarts des émissions de gaz à effet de serre viennent des pays en développement. Les économistes ont certes proposé depuis longtemps une solution plus efficace: mettre en place un marché de permis d'émission commun reliant par exemple l'Europe à la Chine et l'Inde, à l'instar de celui qui couvre à la fois la Californie et le Québec. Mais cela relève jusqu'à présent de la fiction politique.

Ce mécanisme présente toutefois deux limites majeures. La première concerne la demande, comme l'illustre le cas du transport aérien. Le système Corsia a surtout permis aux compagnies de se donner bonne conscience. Il ne sera obligatoire qu'à partir de 2027 et ne contraint les émissions qu'au-dessus d'un seuil de référence bien trop élevé (un niveau proche de 2022).

Effet d'aubaine

Le prix de la tonne de CO2 sur le marché de la compensation carbone dans le secteur aérien est aujourd'hui plus de 300 fois inférieur au prix du permis d'émission européen ! Bien que Corsia soit piloté par l'ONU, les compagnies aériennes sont ainsi parvenues à réduire au maximum les exigences de qualité, favorisant le "moins-disant environnemental". En l'état, cela n'aura qu'un effet dérisoire sur les émissions mondiales et aucun sur les émissions du secteur. La seconde limite porte sur l'offre de service environnemental. Même lorsque l'exigence de qualité est présente, il est très difficile d'éviter un pur effet d'aubaine. L'économiste Matthieu Glachant et ses collègues ont ainsi récemment montré que plus de la moitié des parcs éoliens financés en Inde par le MDP auraient été construits même sans compensation carbone. Soucieux de répondre au mieux aux exigences environnementales de leur gouvernement et du MDP, les gestionnaires indiens auraient tendance à soumettre les meilleurs projets pour obtenir ces financements. Ceux-ci viennent alors enrichir les porteurs de projet sans aucun effet sur la pollution!

Une abondante littérature s'est développée pour proposer des solutions à ce problème récurrent. Le diable est dans les détails: il vaut mieux sélectionner les projets, laisser moins de choix aux porteurs de projets, raccourcir la durée des financements, évaluer régulièrement, etc.

Cette question est d'autant plus importante qu'elle concerne l'ensemble des services environnementaux pour le climat, la biodiversité, la gestion de l'eau ou la prévention des risques naturels. En 2015, les dépenses pour ces services étaient déjà estimées à plus de 40 milliards de dollars par an. Un montant qui n'a fait que croître depuis.

Article paru dans Les Echos, n°24497, le 7 juillet 2025

Illustration: Photo de Karsten Würth sur Unsplash