Immobilier: une fiscalité à revoir du sol au plafond

June 10, 2025 Finance

La fiscalité foncière en France apparaît comme une "pure aberration" à Frédéric Cherbonnier. Il appelle à une refonte profonde de la taxation de l'immobilier pour mieux exploiter un "gisement sous-exploité" de recettes budgétaires...

La fiscalité foncière constitue un angle mort de la politique économique française. Au regard des règles économiques les plus élémentaires, elle apparaît même comme une pure aberration. Premier principe évident: ne pas taxer la mobilité. La France est avec la Belgique le pays de l'OCDE où les coûts induits par l'achat et la vente d'un logement sont les plus élevés, trois fois plus que dans les pays anglo-saxons. Cela résulte en partie de la présence de droits de mutation versés aux départements et communes, dits "frais de notaire", dont le gouvernement vient à nouveau de permettre l'augmentation.

Nous montrons dans un travail récent avec les économistes Christian Bontemps et Thierry Magnac que ce niveau élevé de coûts de transaction empêche les ménages d'arbitrer correctement entre location et propriété. Ceux-ci deviennent en conséquence plus tardivement propriétaires (de peur de devoir vendre en cas de problème) et renoncent à revendre leur logement lorsque leur situation l'exigerait. In fine, le marché du travail en est gravement affecté, un propriétaire de logement pouvant difficilement changer de région pour accéder à un emploi.

Valeurs cadastrales ancestrales

Second principe également bafoué: taxer à la juste valeur. La taxe foncière est assise sur des valeurs cadastrales qui n'ont quasiment pas été réactualisées depuis cinquante ans. Elles ne tiennent compte ni de la rénovation des logements ni de l'évolution des prix. Comme l'a montré récemment la Cour des comptes, cette taxe pèse en conséquence trois fois plus en Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France métropolitaine, qu'à Paris. L'administration prépare depuis des années une réforme pour asseoir cette taxe sur la valeur locative mais celle-ci est systématiquement repoussée.

Par ailleurs, une part substantielle des plus-values immobilières échappe à l'impôt (via l'exonération des résidences principales ou les abattements liés à la durée de détention) alors qu'elles ont été l'un des principaux facteurs d'enrichissement des plus aisés depuis trente ans. La valeur du patrimoine immobilier des ménages français a ainsi triplé en vingt-cinq ans, principalement sous l'effet de la hausse des prix.

Plus généralement, la fiscalité doit être conçue pour inciter à créer de la richesse et non à accumuler des rentes de situation. En taxant principalement le travail, plutôt que le foncier, la France pénalise l'emploi et l'activité tout en induisant une offre de logement insuffisante assortie de prix trop élevés. Les économistes Alain Trannoy et Etienne Wasmer ont montré dans leur livre "Le Grand Retour de la terre dans les patrimoines" ce que devrait être une fiscalité idéale: remplacer taxe foncière et droits de mutation par une taxe sur la valeur des terrains - en basculant au passage sur cette même taxe une partie des prélèvements sur les impôts et le capital productif.

Ne taxer que la terre et non le bâti inciterait à mieux utiliser le foncier. Une part significative des terrains constructibles dans les zones tendues reste aujourd'hui inutilisée, leurs propriétaires spéculant sur une hausse des prix (pratique dite de la "rétention foncière"). Et plus de 3 millions de logements, soit 8 % du parc total, sont aujourd'hui vacants.

In fine, notre pays est celui qui a la densité urbaine la plus faible d'Europe après la Belgique, avec deux fois moins d'habitants au km² dans ses grandes zones urbaines que dans des pays comme le Royaume-Uni et l'Espagne. Alors même que le gouvernement peine à réduire le déficit public, il devrait s'intéresser davantage à ce gisement sous-exploité que constitue le patrimoine immobilier des Français. Une réforme des taxes foncières ferait nécessairement des perdants et des gagnants. Il faudrait l'inscrire dans la durée, en prévoyant un basculement progressif vers une fiscalité plus efficace.

Article paru dans Les Echos le 5 juin 2025.

Illustration Photo de Veronika Jorjobert sur Unsplash