L’Union Européenne: Nouveaux défis, nouvelles ambitions

November 28, 2022 Europe

Article écrit par Marc Ivaldi, Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et Chercheur TSE et Antoine Féral, Directeur des affaires européennes du Groupe ROLLS-ROYCE, paru dans la revue nationale "Le Mérite" en septembre 2022.

Dans un contexte de crise sanitaire et à présent de guerre en Europe, l’Europe a su réagir au-delà de l’attente des Etats membres et parfois loin de la connaissance des citoyens.

L’Europe a su être à la pointe de la lutte contre la pandémie. A la fin de l’année 2021, plus de 70 % des adultes sont entièrement vaccinés dans l’Union européenne. Les européens ont été les seuls à partager la moitié de la production européenne de vaccins avec le reste du monde. L’Europe a livré plus de 700 millions de doses dans l’Union européenne, et a aussi livré plus de 700 millions de doses au reste du monde, dans plus de 130 pays. Petite anecdote à ne pas oublier : le chercheur qui a été le premier à mettre au point un vaccin à ARN messager contre la Covid est d’origine turc, a fait toutes ses études et recherches en Allemagne, et a été un des récipiendaires d’une bourse de recherche de l‘European Research Council, une des plus prestigieuses bourses au monde.

Face aux enjeux économiques qu’a soulevé la pandémie, la Commission européenne a su adapter sa stratégie industrielle, qui mentionnait déjà le principe de souveraineté et de localisation, et apporter des soutiens aux chaînes d’approvisionnement. La Commission a aussi révisé sa politique commerciale pour mieux tenir compte de ces défis globaux auxquels nous sommes confrontés. Par ailleurs, à la demande de plusieurs pays initialement, la Commission a également lancé une consultation sur les financements étrangers dans l’UE dans des infrastructures stratégiques ou pour le rachat d’entreprises européennes clés, pour mieux examiner ceux-ci et pouvoir s’y opposer le cas échéant.

Face à la guerre en Ukraine, en quelques jours, l’Union Européenne a décidé de sanctions contre l’économie russe d’une ampleur jamais réalisée dans le passé, a décidé d’apporter une aide économique et financière très significative à l’Ukraine et surtout a permis la fourniture d’armement à l’armée ukrainienne.

Il convient de souligner également les avancées de l’Union Européenne en matière de défense au cours des cinq dernières années. Après un programme de recherche appliquée au secteur de la défense et des appels à projets dans le cadre du programme européen pour la coopération industrielle, la Commission a lancé le Fonds européen de défense (8,5 milliards). Cet engagement couplé avec une politique spatiale forte et l’industrie civile permettra de développer des synergies industrielles nouvelles pour les pays membres de l’UE.

Tout cela a pu se réaliser parce que l’Union Européenne et la Commission Européenne ont su mettre en place les outils d’une puissance économique et politique. Rappelons que l’Union Européenne détient la place de second par le niveau du PIB derrière la Chine et devant les USA.

Quelles sont les priorités pour l’Europe pour les 10 prochains années ?

Une Europe plus verte

En décembre 2019, la Commission européenne présentait son "Pacte Vert" (Green New Deal), dont l’objectif prioritaire, très ambitieux, est de transformer l’économie de l’Union Européenne pour un avenir durable pour tous les citoyens européens, et de mettre en place une approche plus stratégique des industries des énergies renouvelables pour consolider un socle efficace de tous les vecteurs d’énergie.

Pour renforcer son ambition climatique, la Commission a présenté la première « loi européenne » sur le climat qui vise à établir les conditions d’une transition énergétique réussie et inclusive, à apporter une certaine prévisibilité aux investisseurs et faire en sorte enfin que cette transition soit irréversible, avec le soutien des États membres en matière d’approvisionnement énergétique. La Commission a ensuite pris l’objectif d’une réduction d’au moins 50% des émissions de gaz à effet de serre pour 2030.

La Commission a demandé aux industriels de s’engager véritablement dans l’économie circulaire et de stimuler le développement de nouveaux marchés porteurs. L’UE souhaite encourager le développement de chaînes de valeur stratégiques à travers notamment les Grands Projets d’Intérêt Européen Commun (GPIEC). Ainsi, après les systèmes microélectroniques et les batteries, le secteur de l’hydrogène est fortement considéré et différents consortia européens sont en train de se monter. Aux côtés de l’Alliance européenne des batteries créée en octobre 2017, une nouvelle alliance sur l’hydrogène a vu le jour, et qui couvre toute la chaîne de production et de distribution.

La Commission a lancé une nouvelle initiative en matière de rénovation des bâtiments et logements visant à lever les obstacles réglementaires et optimiser les ressources de financement.

Compte tenu de la part des transports dans les émissions de CO2, la Commission souhaite encourager la transition vers une mobilité plus durable et intelligente, en particulier dans nos villes, avec le développement des points de recharges pour les véhicules électriques ("Objectif 1 million de points de recharge"). Un des axes de travail retenu est le développement du transport multimodal, en mettant l’accent sur les voies ferroviaires et fluviales et en développant les outils numériques correspondants. Pour les différents modes de transport, la Commission souhaite développer les carburants alternatifs, à travers de nouveaux outils législatifs et financiers.

La crise que nous connaissons actuellement a mis en relief la nécessité d’avoir un système alimentaire sûr, de qualité et de proximité. Une nouvelle stratégie "De la ferme à la table" est en cours de définition au niveau européen associant les agriculteurs et les pêcheurs à cette nouvelle donne, qui sera articulée avec la nouvelle politique agricole commune.

L’UE a aussi pris des initiatives majeures en matière de biodiversité, de qualité de l’air en milieu urbain, d’impact des produits chimiques. La Commission a ouvert courageusement

un chantier sur la promotion de la finance et des investissements verts, en essayant de classifier les activités (financières) considérées comme écologiquement durables. Dans le même esprit, la Banque Européenne d’Investissement (BEI) a pris des engagements pour donner un label "Vert" à des investissements identifiés comme durables.

Une Europe de la Data

Après sa communication sur la 5G et sur la protection des réseaux, pour "façonner l’avenir numérique de l’Europe", l’UE a engagé un axe de travail fort dans le développement d’un cadre pour la protection des infrastructures européennes numériques, et le déploiement d’une stratégie européenne "d’économie" des données. Ces travaux permettront de donner des orientations concrètes à la Commission et de définir d’éventuelles nouvelles alliances industrielles concernant les "nuages" et plateformes numériques par exemple.

Les PME qui représentent 99 % de l’ensemble des entreprises européennes ne seront pas oubliées dans ce paysage. L’objectif est de produire des outils spécifiques pour elles, et de les encourager à développer entre "petits acteurs" – souvent plus rapides et agiles – des solutions numériques.

L’UE a adopté le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, ou DMA) et le règlement sur les services numériques (Digital Services Act, ou DSA) qui posent les bases d’une réglementation éclairée et efficace de l’économie numérique.

L’UE dispose ainsi d’une vision industrielle forte axée sur la transition climatique et numérique, lui permettant de conforter son marché intérieur et de développer des normes au niveau mondial.

La Présidence Française de l’UE comme moteur des priorités européennes

Depuis le 1er janvier 2022, on parle davantage d’Europe en France car, pour la 13ème fois, la présidence tournante du Conseil de l’UE a échu à la France pour 6 mois. C’est un évènement politique inédit qui n’arrive plus que tous les 13 ans depuis qu’il y a 27 États membres. De ce fait, la France a organisé et présidé les réunions du Conseil de l’UE qui réunissent, par domaine d’activité (recherche, transport, énergie, etc.), les ministres des États membres et leurs équipes dans les Représentations Permanentes à Bruxelles, pour travailler sur les textes européens. Chaque ministre français a assuré cette fonction au sein du groupe de travail dont il est membre ; ainsi le ministre de l’Agriculture français préside le Conseil agriculture, etc. Le Conseil, avec le Parlement, est co-législateur sur les initiatives législatives européennes. Il incarne l’orientation intergouvernementale du fonctionnement de l’Union européenne, puisque les textes sont examinés et modifiés à l’aune des prismes nationaux.

Concrètement, une Présidence a deux principales missions : dégager des compromis entre les délégations nationales sur les propositions législatives présentées par la Commission et, une fois ce travail achevé, négocier avec le Parlement européen. Ainsi le pays qui occupe la Présidence doit avant tout chercher des compromis équilibrés dans une Europe plurielle et assurer la fluidité des négociations pour faciliter l’adoption des règlements et directives européennes. Pas facile bien sûr, trop lent certainement, frustrant probablement, mais c’est le prix à payer pour avancer vers une Union forte, décisive, et rassemblée.

La France a donc joué un rôle de chef d’orchestre sur de grands sujets politiques (et même sur un conflit armé à nos portes). Souveraineté, défense, nouveau modèle de croissance et d’investissements, construction de filières industrielles fortes, salaires minimaux, ont été les enjeux portés par la Présidence Française de l’Union Européenne (PFUE) avec de l’ambition de dessiner les contours d’une "Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin" pour reprendre les termes d’Emmanuel Macron.

Comment influencer le futur agenda européen d’un point de vue local ?

La Conference sur l’avenir de l’Europe a été lancée le 9 mai 2021 à travers toute l’Union européenne. Elle permet à tous les citoyens, tous les acteurs de la société civile de participer et de proposer une contribution sur l’Europe que nous voulons. Les conclusions seront rendues en juin 2022, durant la présidence française de l’Union européenne.

Dans cette période de crise sanitaire et de guerre aux frontières de l’UE, où l’on s’interroge sur notre capacité à produire et à créer des emplois, quelles filières privilégier pour développer des chaines de valeurs fortes et intégrées, comment encourager des alliances industrielles nouvelles et faire les investissements nécessaires avec des exigences en matière sociale et environnementale ? Dans cette transition écologique et numérique à la fois nécessaire et inéluctable, quelle Europe souhaitons-nous ? Pour cela, un exercice inédit de consultation citoyenne a été mis en place en Europe même s’il fait l’objet de peu de retombées médiatiques.

Afin d’encadrer les propositions, neuf thèmes ont été choisis : Changement climatique et environnement ; Santé ; Economie plus forte, justice sociale et emploi ; l’UE dans le monde ; Valeurs et droits, état de droit et sécurité ; Transformation numérique ; Démocratie européenne ; Migration ; Education, culture, jeunesse, et sport.

Quatre outils principaux ont été mis en place pour faciliter la participation des citoyens et des différentes parties prenantes :

  • Une plateforme numérique multilingue ou l’on peut déposer des propositions de façon continue (Conférence sur l'avenir de l'Europe (europa.eu)) ;
  • Des événements décentralisés : de très nombreux évènements se sont déroulés dans les régions françaises. 18 grands débats se sont déroulés dans nos régions entre le 10 et le 26 septembre. Une cinquantaine de personnes représentatives de la société ont été tirées au sort à chaque fois. Ces évènements ont pu être organisés par les services du Ministre délégué charge de la participation citoyenne et les préfectures concernées ;
  • Des panels de citoyens européens tirés au sort ont aussi été organisés ;
  • Des séances plénières régulières se sont tenues au niveau européen (avec le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne) et au niveau national pour tenir en compte de la progression des idées. Par exemple, une session plénière importante s’est tenue au Conseil économique social et environnementale (CESE) du 15 au 17 octobre dernier réunissant 100 français pour une synthèse des consultations reçues (1120 propositions à examiner).

Les parties prenantes ont été invitées à faire part de leurs souhaits pour l’Europe de demain, à préciser quels changements pour atteindre cet objectif, et de définir, tant que possible, quelles pourraient être les actions concrètes pour mettre en œuvre ces changements.

Si on survole les presque 12 000 contributions émises à ce jour, on peut constater que de nombreuses contributions ont été faites sur les valeurs et principes de l’UE en matière de respect des droits de l’homme ou de notre environnement. Une forte attente a été exprimée pour que, dans le cadre de la préparation de futurs accords commerciaux, des clauses spécifiques sur le travail décent et sur le respect des droits des salariés soient insérées.

Dans de nombreuses contributions, on peut naturellement voir le reflet de la crise sanitaire actuelle et donc une volonté réelle exprimée d’aller vers plus de projets de réindustrialisation du continent européen et d’augmentation de la production locale de produits en tout genre.

Enfin, la dimension fiscale est présente dans de nombreuses propositions comme moyen de favoriser une économie inclusive et équitable. Par exemple, la mise en place d’un système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour le commerce électronique pour soutenir une concurrence plus loyale ou l’obligation pour les entreprises de ne payer la TVA que dans leur pays d’origine et une TVA liée à la provenance des biens afin de promouvoir la consommation et l’économie locale.

La fiscalité liée à l’environnement et au changement climatique est une dimension très présente dans les projets formulés, avec notamment des appels en faveur d’une taxe carbone ou d’une taxe de durabilité à l’échelle de l’UE.

 

Exemples de propositions

*Changement climatique et environnement : Arrêter les subventions aux carburants fossiles, développer un plan de reforestation pour l’Europe, promouvoir de l’énergie nucléaire lorsque les sources d’énergie renouvelables ne sont pas existantes.

*Santé : Promouvoir l’égalité d’accès à des services publics abordables et de qualité, modifier les traités pour renforcer les compétences de l’UE dans le domaine de la santé.

*Economie plus forte, justice sociale et emploi : Déterminer des revenus de base inconditionnels dans toute l’UE, intégrer un protocole social dans les traités pour mettre un terme au dumping salarial.

*l’UE dans le monde : Création d’une armée européenne et/ou Intégration des forces armées des États membres au niveau européen ; poursuivre l’élargissement de l’UE.

*Valeurs et droits, état de droit et sécurité : introduire l’obligation de respecter l’état de droit à l’intérieur de ses frontières, promouvoir l’égalité des sexes.

*Transformation numérique : Apporter un soutien public aux logiciels et au matériel informatique libre ; soutenir une production industrielle européenne de puces, prendre des mesures communautaires pour Interdire les cryptomonnaies.

*Démocratie européenne : Organiser des élections ‘européennes’ avec des listes électorales transnationales à l’échelle de l’UE, Adopter un suffrage d’élection directe du président de l’Union européenne.

*Migration : Adopter une politique commune en matière de migration et d’asile, fondée sur le respect des droits et l’égalité de traitement ; éloigner les demandeurs d’asile/migrants non autorisés.

*Education, culture, jeunesse, et sport : développer de meilleures formations en langues ; mettre en place des outils pour lutter contre la précarité chez les jeunes.

 

Article paru dans la revue nationale "Le Mérite", Revue de l’Association nationale des membres de l’ordre du Mérite, en septembre 2022

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