Les robots font-ils de nous de meilleurs investisseurs ?
9 Décembre 2025 Finance
Les robots-conseillers, qui permettent l’automatisation des conseils financiers, mettent l'expertise de Wall Street à la portée des épargnants ordinaires. Mais faut-il laisser ces algorithmes sophistiqués gérer les portefeuilles sans nous ? Y a-t-il un intérêt à garder les humains dans la boucle ? Dans une étude menée sur cinq ans auprès de 38 000 investisseurs français, Milo Bianchi, chercheur à TSE, et sa coauteure Marie Brière ont trouvé des réponses surprenantes.
Qu'est-ce qui vous a motivé à étudier la manière dont les humains interagissent avec les robots-conseillers ?
Les robots-conseillers promettent de démocratiser la gestion de patrimoine, en offrant aux épargnants ordinaires des conseils professionnels en matière de gestion de portefeuille, et ce, à un coût bien inférieur à celui des services traditionnels. Mais il y a un hic... Lorsque les algorithmes prennent le contrôle total, les gens apprennent-ils quelque chose ? Restent-ils impliqués ? Ou se contentent-ils de confier leurs finances à ces robots et d'espérer que tout se passe bien ?
Nous en savons encore relativement peu sur la manière dont les gens réagissent aux conseils algorithmiques. Par exemple, quel est le degré optimal d'automatisation ? Les recherches existantes suggèrent que les gens sont plus disposés à se fier à des conseils automatisés lorsqu'ils conservent un certain contrôle. Les interactions entre humains et robots peuvent également être utiles pour aider les investisseurs à apprendre à gérer leurs portefeuilles. Dans le même temps, laisser l'humain interférer avec le robot peut limiter son efficacité.
Il est essentiel de comprendre ces compromis pour réglementer et concevoir de manière responsable les outils financiers basés sur l'IA. Compte tenu de l'utilisation généralisée des systèmes entièrement automatisés, nous avons voulu explorer l'impact des robots-conseillers lorsque les investisseurs conservent le dernier mot.
Comment votre article traite-t-il ce sujet ?
Suite à l'introduction d'un robot-conseiller par un grand gestionnaire d'actifs français, nous étudions son impact sur des portefeuilles réels entre 2016 et 2021. Notre ensemble de données couvre 770 entreprises, dont plus de 18 000 abonnés et 20 000 investisseurs « curieux de robotiser » qui ont manifesté leur intérêt pour le service mais l'ont refusé. Ce cadre exceptionnellement détaillé nous permet d'observer comment les investisseurs réels se comportent, avec leur propre argent et leurs plans d'épargne à long terme, lorsqu'ils reçoivent des conseils algorithmiques.
Contrairement aux services entièrement automatisés, le robot émet des recommandations de portefeuille et des alertes de rééquilibrage tout en laissant les investisseurs libres de les accepter, de les ignorer ou de les adapter. En suivant ces interactions entre l'homme et le robot au fil du temps, nous pouvons déterminer si les algorithmes améliorent ou supplantent l'attention et le jugement humains.
Les investisseurs qui utilisent des robots détournent-ils leur attention ?
Nos données indiquent le contraire. Le service robotisé suscite davantage l'attention des investisseurs, et non l'inverse. Après avoir adopté le service, les investisseurs se connectent plus souvent, passent plus de temps sur la plateforme, procèdent à davantage d'ajustements de leur portefeuille en réponse aux chocs du marché ou aux nouvelles opportunités, et augmentent leur exposition au risque.
À la suite d'alertes, les utilisateurs du service augmentent leurs activités de rééquilibrage afin de mieux aligner leurs investissements sur leurs objectifs à long terme. Ces changements de comportement se traduisent par des rendements nettement plus élevés.
Pourquoi les « interactions humain-robot » jouent-elles un rôle si important ?
Nous démontrons que le processus d'engagement avec un service robotisé est au moins aussi important que le contenu des recommandations du robot. Les alertes robotisées agissent comme des déclencheurs d'attention, incitant les investisseurs à reconsidérer leurs allocations et, potentiellement, à apprendre. Considérez cela comme un tracker d'activité physique qui compte vos pas : sa véritable valeur réside dans le fait qu'il vous permet de prendre conscience de vos habitudes et d'ajuster votre comportement. De la même manière, les alertes robotisées incitent les investisseurs à se demander si leurs allocations actuelles correspondent toujours à leurs objectifs à long terme.
Étonnamment, lorsque nous simulons ce qui se serait passé si le robot avait eu le contrôle total (rééquilibrage automatique sans intervention humaine), les gains de performance ne sont que légèrement supérieurs. En d'autres termes, le fait de garder les humains dans la boucle ne coûte que très peu en termes de performance, tout en offrant des avantages potentiels importants pour l'apprentissage financier. Cela suggère que nous ne devrions pas laisser toutes les décisions au robot, mais plutôt permettre une interaction dynamique entre l’humain et le robot afin qu'elle serve d'outil éducatif.
Pour les détracteurs de l'IA, vos résultats peuvent être rassurants. Y a-t-il des mises en garde importantes ?
En incitant les investisseurs à s'impliquer davantage et à s'informer sur le rééquilibrage, les robots-conseillers peuvent contribuer à transformer les épargnants passifs en gestionnaires de portefeuille plus actifs et plus compétents. Cependant, notre étude porte sur des comportements observés sur cinq ans, et non sur plusieurs décennies. La question de savoir si cet engagement des investisseurs se traduira par une sophistication financière durable reste ouverte.
Plus inquiétant encore, le système fonctionne moins bien en période de ralentissement du marché. Lorsque les cours des actions baissent, les investisseurs sont nettement moins enclins à suivre les alertes de rééquilibrage. Cela suggère que les avantages pédagogiques du robot peuvent être fragiles dans les marchés baissiers, alors que c'est justement dans ces moments-là que le rééquilibrage discipliné est le plus important.
Un autre aspect important est que les effets peuvent varier considérablement d'un investisseur à l'autre. Par exemple, les investisseurs plus âgés, de sexe masculin et plus fortunés sont légèrement plus enclins à procéder à un rééquilibrage après une alerte robotisée.
Quelles leçons peuvent en tirer les prestataires de services, les employeurs et les régulateurs ?
Pour les prestataires et les employeurs, la conception de services robotisés centrés sur l'humain est essentielle. Les alertes, les recommandations claires et le maintien du choix humain peuvent apporter des gains significatifs. Pour les régulateurs et les agences de protection des consommateurs, le message est que l'automatisation fonctionne mieux en tant que partenariat plutôt qu'en tant que substitution totale. Les robots-conseillers ne doivent pas remplacer le jugement humain, mais plutôt l'éduquer et le renforcer.
POINTS CLÉS
• Les robots réveillent les gens – L'abonnement au service robotisé a augmenté les connexions, l'engagement sur la plateforme et l'activité de trading.
• Les incitations fonctionnent – Les alertes robotisées augmentent la probabilité de rééquilibrage. Lorsque les investisseurs rééquilibrent leur portefeuille, ils suivent généralement le robot.
• Gains de performance – Les utilisateurs de robots bénéficient de rendements plus élevés que les non-utilisateurs. Le rééquilibrage entièrement automatisé ne surpasse que légèrement le rééquilibrage humain-robot.
• Un avenir hybride – Le juste milieu combine la précision algorithmique et la supervision humaine, améliorant à la fois les rendements financiers et les compétences financières.