La distribution de dividendes, un faux débat

29 Octobre 2022 Agriculture

La distribution de dividendes exceptionnels par les grandes entreprises à leurs actionnaires ne manque jamais de provoquer l'indignation. Pourtant, cette pratique n'a que peu de choses à voir avec le partage des fruits de la croissance qui reste le vrai sujet, note Frédéric Cherbonnier.

La distribution de dividendes par les grandes entreprises dans le monde devrait atteindre un record et dépasser la barre des 1.500 milliards de dollars cette année. Les entreprises françaises suivent ce mouvement, d'où les unes de nos journaux accusant leurs actionnaires de s'enrichir sur le dos des Français. Ce thème constitue en fait un véritable "marronnier": dividendes et profits fluctuent d'une année sur l'autre, ce qui amène régulièrement médias et politiques à mettre en avant le scandale que serait une distribution record de dividendes. Mais ils se gardent bien de noter que ces distributions n'ont a priori aucun effet sur la richesse des actionnaires.

Le raisonnement est pourtant assez immédiat et peut être illustré par un simple exemple. Si l'action d'une entreprise vaut 100 euros et que celle-ci décide de se délester d'une partie de ses profits pour distribuer 10 euros par titre, le cours chutera demain à 90 euros et l'actionnaire se retrouvera alors avec 10 euros en poche mais avec une action valant d'autant moins. Quand il s'agit d'une grande entreprise, le titre est liquide et l'actionnaire peut obtenir le même résultat en vendant 10 % de son portefeuille.

En pratique, la réalité est légèrement différente. L'illustration précédente est valable si l'on s'en tient à un résultat célèbre en finance,le théorème de Modigliani-Miller selon lequel le mode de financement d'une entreprise n'a pas d'effet sur sa valeur. Celle-ci peut utiliser ses profits pour ses besoins propres, ou au contraire les redistribuer à ses actionnaires et faire appel aux banques pour financer ses investissements. Ces choix ne devraient pas avoir d'impact sur son cours en bourse.

Mais, comme l'avait mis en avant l'économiste Fischer Black dans son article intitulé "dividend puzzle" en 1976, c'est en partie inexact, notamment parce que la distribution de dividendes constitue une information sur la stratégie et le comportement de l'entreprise. Les travaux empiriques montrent que la valeur d'une entreprise sur les marchés augmente en moyenne très légèrement lorsque celle-ci annonce une distribution de dividendes plus élevée qu'attendue.

Cela pourrait refléter un changement de maturité de l'entreprise, selon les travaux des économistes Gustavo Grullon et Roni Michaely au début des années 2000. Schématiquement, les jeunes entreprises distribuent peu de dividendes car elles ont beaucoup d'opportunités d'investissement. Le rendement de leur titre provient surtout des plus-values qu'elles vont générer. Au bout d'un certain moment, ces entreprises peuvent basculer sur un autre mode de développement, avec peu d'opportunité de croissance mais également un risque moindre, ce qui rehausserait in fine la valeur en bourse de l'entreprise. Ce sujet est complexe, d'autres facteurs explicatifs jouent, et dans certaines situations l'annonce d'une distribution de dividendes peut aussi avoir un effet opposé et faire chuter le cours en bourse d'une entreprise.

Il est triste de voir cette question secondaire occuper à ce point le débat public dans notre pays. La vraie question porte sur le partage des fruits de la croissance entre salariés et capital. Or la France est l'un des rares pays de l'OCDE où celui-ci est resté à peu près constant au cours des trente dernières années, avec une part pour les salariés proche de 60 %. Que le taux de distribution des dividendes des entreprises en France ait atteint régulièrement des pics - en 1982, 2004, 2016 puis aujourd'hui - n'y change rien et reste anecdotique.

Article paru dans les Echos le 27 octobre. Copyright Les Echos.fr

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