Les surprofits des renouvelables

8 Décembre 2022 Energie

Doit-on surtaxer les producteurs d’énergies éolienne et solaire qui auraient la mauvaise idée de vendre leur production au prix du marché ? C’est ce que recommande la Commission de Régulations de l’Energie (CRE). Pour sa part, le Sénat a carrément interdit la vente au prix du marché. Comment en est-on arrivé là et que peut-on en conclure ?

 

17 milliards d’euros de recettes en 2023

Dans son rapport de novembre, la CRE annonce Noël avant l’heure. Selon le régulateur français, les tarifs d’achat des énergies renouvelables vont rapporter 17 milliards d’euros (Md€) à l’Etat en 2023. Ce qui porte le cumul des recettes pour 2022 et 2023 à 30 Md€. L’éolien terrestre en est le principal responsable (12,7Md€ en 2023) suivi du solaire photovoltaïque (2,6Md€) et des bio-énergies (biogaz et biomasse 1,2Md€). Ces recettes sont dues à l’écart entre le prix d’achat contractuel de l’électricité issue des renouvelables et le prix de gros sur les marchés. L’Etat doit compenser cette différence, mais comme la crise énergétique a porté le prix de l’électricité sur les marchés de gros à des sommets inégalés, l’écart de prix est devenu négatif, donc en faveur de l’Etat. Avant la crise énergétique que nous connaissons, les tarifs d’achat de l’électricité produite par les éoliennes et les panneaux photovoltaïques étaient bien au-dessus des prix de marché, ce qui représentait des subventions substantielles. Le manque à gagner pour l’Etat s’est accumulé avec la pénétration des renouvelables portant la facture à 5,7Md€ pour l’année 2019. Le renversement de tendance est d’autant plus spectaculaire que la charge est cumulative :  les contrats avec prix d’achat élevés avant la baisse du coût des renouvelables des dernières années sont toujours honorés.     

 

Retour vers le futur 

Investir dans une éolienne ou des panneaux photovoltaïque est une décision de long terme. La rentabilité d’un tel investissement s’apprécie sur sa durée de vie. Le retour sur investissement est donc tributaire du prix de vente de l’électricité produite sur un horizon d’environ 20 ans. C’est dans l’optique de favoriser ces investissements que l’Etat s’est engagé à verser des tarifs d’achat subventionnés sur cette durée. Les entreprises ou les ménages qui investissent dans l’éolien ou le solaire ont l’assurance de recevoir une rémunération fixe tout au long de l’exploitation des équipements. Avec un tel engagement de l’Etat, le risque est faible, le rendement garanti. A l’époque où le tarif d’achat était bien au-dessus du prix de l’électricité sur les marchés de gros (quelques dizaines d’euros le MWh), on n’envisageait pas qu’il puisse être rentable de dénoncer un tel contrat. La situation a bien changé[1] avec des prix de gros moyens mensuels variant de 180 à 495€ MWh en 2022, bien au-dessus des tarifs garantis de 82€ MWh pour l’éolien et de 60 à 171€ MWh pour le solaire en 2017. D’où la décision du Sénat d’interdire le contractant à suspendre ou résilier le contrat, et la recommandation de la CRE de taxer les rentes infra-marginales des exploitants de renouvelables qui auraient résilié le contrat. La CRE justifie la taxation des surprofits par le fait que « ces installations n’ont pu être développées que grâce au soutien financier de l’Etat dont elles ont bénéficié sur des durées généralement supérieures à 10 ans. »  

 

Contrat à long terme versus marché

Pour rémunérer les investissements dans les équipements de génération d’électricité, deux systèmes co-existent : les contrats à long terme et les marchés de gros de l’électricité. Alors que dans les contrats le prix est défini à l’avance, il fluctue au gré de l’offre et de la demande sur les marchés. Les prix (fixés par le contrat ou le marché) sont destinés à couvrir les coûts de production, en premier lieu le coût des équipements pour les renouvelables, y compris le risque pris par les investisseurs. Ils doivent donc être calibrés sur la durée de vie des équipements. Or il est très difficile de prévoir les prix de l’électricité au-delà d’un an ou deux. L’extraction du gaz de schiste ou la guerre en Ukraine nous ont appris qu’ils dépendent de facteurs non anticipés. Le prix actuel est un indicateur très imparfait des prix futurs. Un contrat à long terme qui rémunère le MWh sur la base du prix de marché au moment de la signature du contrat a toutes les chances d’être déconnecté de la réalité de ce même marché des années plus tard. Cette erreur de prospective touche aujourd’hui les tarifs d’achat subventionnés des renouvelables comme elle affecte le tarif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARHEN) dont le montant initialement fixé à 42 €/MWh semble ridiculement bas aujourd’hui.

 

A qui profite la hausse des prix ?

Se pose alors la question de la porosité entre les deux systèmes de rémunération de la génération de l’électricité. Peut-on passer de l’un à l’autre ? C’est implicite dans un sens : un générateur qui vend sur le marché de gros peut à tout moment signer un contrat de long terme avec un acheteur. A moins d’être explicitement prévu par une clause contractuelle, le déplacement inverse d’un contrat de long terme au marché ne va pas de soi.[2] Il est remis en cause par le Sénat et critiqué par la CRE sous prétexte que les prix élevés actuels créent un effet d’aubaine. Néanmoins cette option de sortie de la relation contractuelle est un des éléments à prendre en compte dans le calcul du rendement de l’investissement. Changer les règles a posteriori prive l’investisseur d’une part des revenus sur lesquels il pouvait compter lors de la signature du contrat. Ce changement est lié à un autre effet d’aubaine, celui-ci au bénéfice de l’Etat : exploiter le différentiel de prix pour accroître les recettes publiques. L’argumentaire de le CRE peut donc être renversé. Après tout, est-il vraiment choquant de vendre un produit au prix du marché ? Doit-on interdire cette pratique sous prétexte que des subventions ont été versées pour des raisons environnementales à une époque où l’équipement n’était pas rentable ? En mettant en avant le « manque à gagner » de l’Etat, les tarifs d’achat de l’électricité issue de sources renouvelables sont détournés de leur but initial qui était de favoriser le développement de ces sources renouvelables. La priorité n’est plus celle-là : il faut financer le bouclier tarifaire qui plafonne le prix de détail de l’électricité. 

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La crise énergétique actuelle offre une revanche aux énergie renouvelables. Naguère décriées parce qu’elles vidaient les poches des consommateurs/contribuables au travers de la CSPE (voir notre précédent billet sur le sujet), elles alimentent maintenant les caisses de l’Etat grâce à des prix de marché supérieurs aux tarifs d’achat. La possibilité de résilier ces tarifs d’achat remise en cause par les autorités française avec l’argument des surprofits pose la question plus générale de la coexistence des contrats de long terme et du marché spot. Elle est au cœur du projet de découplage des deux systèmes prôné par Bruxelles. La réponse doit être mûrement réfléchie afin d’éviter d’avoir à changer les règles en cours de route.

 

[1] Les demandes de résiliation représentent 3,7 GW de capacité de production en septembre 2022 selon la CRE, ce qui correspondrait à un manque à gagner pour l’Etat de 6 à 7 Md€ cumulés pour 2022 et 2023. 

[2] A noter que cette porosité est aussi présente pour le prix régulé par l’ARHEN. Les fournisseurs d’électricité se ruent vers cet accès alors qu’ils ont boudé ce dispositif dans le passé lorsque les prix de marché étaient plus bas (voir notre billet sur le sujet).