L’ampleur et la distribution des chocs sur l’énergie et sur les échanges commerciaux dans la zone euro et en France

13 Décembre 2022 Macroéconomie

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, était présent à TSE le 8 décembre 2022 pour donner un Business Talk aux étudiants, voici un extrait de son discours.

A l’heure actuelle, les prix des produits importés, en particulier des produits énergétiques, augmentent bien plus que les prix des exportations. Le ratio des prix à l’exportation rapportés à ceux de l’importation est ainsi en train de se détériorer pour les pays importateurs des matières premières, ce qui réduit leur pouvoir d’achat. 

L’ampleur du prélèvement extérieur : les chocs sur l’énergie et les termes de l’échange 

Ce constat s’inscrit dans un contexte de pics successifs sur les prix du gaz et de l’électricité depuis l’été 2021 (reprise mondiale post-pandémie, guerre menée par la Russie en Ukraine, etc.). Alors que les chaînes de production mondiales étaient perturbées, ce qui a eu un effet sur les prix des biens industriels non énergétiques, et in fine sur l’ensemble des biens manufacturés acheminés vers l’Europe. 

Cela génère ce qu’on appelle un “prélèvement extérieur” : un pays enregistre alors une croissance plus rapide de son déflateur des importations par rapport à son déflateur des exportations. Cela constitue un choc négatif sur les revenus réels, à la fois pour les ménages et les entreprises. 

Si on s’intéresse au prélèvement extérieur “brut”, c’est-à-dire au montant de la facture énergétique supplémentaire pour les pays importateurs d’énergies, on observe qu’il y a une hétérogénéité importante entre les différents pays européens. La moindre dépendance aux énergies fossiles et la part relativement moins importante du secteur manufacturier atténuent l’ampleur des chocs sur les termes de l’échange en France. A l’inverse, le choc est d’une plus grande ampleur pour l’Espagne, qui dépend davantage des importations d’énergie et ne bénéficie pas de la hausse des prix des exportations des services de transport. 

Parallèle avec le choc pétrolier des années 1970 

Cette année, le choc sur les termes de l’échange en France pourrait être le deuxième le plus important depuis le premier choc pétrolier de 1974. Sur l’ensemble de l’année, il devrait s’établir à – 1,4 point de pourcentage du PIB, contre – 2,8 points de pourcentage du PIB lors du premier choc pétrolier de 1974.  

Si le choc lié aux prix à l’importation est de même ampleur, sa composition diffère : en 2022, l’augmentation concerne non seulement les prix de l’énergie, mais aussi ceux de nombreux autres bien importés.  

Le choc sur les termes de l’échange implique une diminution du revenu réel pour l’économie française et constitue par conséquent un déterminant essentiel du ralentissement de la croissance du PIB attendu pour 2023. 

En regardant plus précisément le choc énergétique, la facture énergétique supplémentaire de la France égale à 1,9% du PIB en 2022, par rapport à l’année précédente, ou 47 milliards d’euros. Il convient néanmoins de préciser que cette facture énergétique n’inclut pas l’électricité, même si ses prix ont également considérablement augmenté. Le choc lié à ces prix est plus difficile à évaluer étant donné que les pays européens et notamment la France, produisent de l’électricité. Il est donc plus difficile d’isoler la composante externe de la hausse des prix de l’électricité. 

La distribution ex ante et ex post du prélèvement extérieur 

Comment, alors, opérer une distribution du prélèvement extérieur, autrement dit, du partage du choc ? Il faut d’abord prendre en compte la manière dont la facture énergétique se répartie “ex ante” entre les ménages, les entreprises et les administrations publiques. Il apparaît alors que les ménages supporteraient plus d’un tiers de la facture et les entreprises un peu moins des deux tiers. Mais la répartition du choc est sensiblement modifiée après les mesures compensatoires mises en place par le Gouvernement : la part des ménages revient à 5% environ, tandis que celle des administrations publiques atteint au moins 35% de la charge totale. 

Ensuite, nous devons prendre en compte les mesures budgétaires mises en place par le gouvernement en 2021 et 2022 afin de limiter la facture énergétique des entreprises et des ménages. Enfin, il sera nécessaire de considérer tous les ajustements macroéconomiques, en particulier la transmission par les entreprises des hausses de coûts à leurs prix de vente et la réaction des salaires aux prix.  

Quant à la distribution ex post, le processus de distribution finale après l’ajustement macroéconomique reste difficile à évaluer : il dépend du degré d’adaptation des salaires au fil du temps et de la capacité des entreprises à augmenter leurs prix en fonction de leur situation financière. Cette évaluation nécessite un horizon d’un minimum de trois ans, car certaines pertes ou certains gains à court terme peuvent être atténués les années suivantes. 

La distribution ex post : quelques recommandations indicatives 

S’il serait sans doute trop ambitieux de déterminer une répartition optimale de la charge entre les agents économiques, nous pouvons définir un certain nombre de conditions à remplir. Par exemple, les politiques publiques ne peuvent supprimer durablement la perte de revenu réel subie par l’économie nationale : elles ne peuvent que la redistribuer entre les différentes catégories de ménages et d’entreprises. Il est donc nécessaire que ces mesures soient, d’une part, autant que possible temporaires et d’autre part, qu’elles n’aillent pas à l’encontre des incitations à réduire notre consommation d’énergie.  

Je considère qu’il est normal que le secteur public soit intervenu en France et dans d’autres pays européen face à ce choc économique considérable. Mais soyons en même temps honnêtes avec nous-mêmes, le recours aux médications doit être temporaires. Nous devons tous partager équitablement le “prélèvement extérieur”, et nous devons également ouvrir la voie à une réduction de note vulnérabilité en économisant l’énergie et en accroissant notre production nationale d’énergie.  

Au cours de la dernière décennie, la France a accompli des progrès significatifs dans de nombreux domaines, notamment en matière d’emploi et de formation. Face au choc actuel aussi, je suis convaincu que nous pouvons ressortir collectivement plus forts.