La péninsule ibérique dans le noir. A qui la faute ?

30 Juin 2025 Energie

Le blackout qui a frappé le système électrique de la péninsule ibérique le 28 avril 2025 fait encore l’objet d’analyses par les responsables des systèmes espagnol, portugais et français, ainsi que par ENTSO-E, l’association pour la coopération des opérateurs des systèmes de transmission de 36 pays européens. Les textes européens fixent un délai de 6 mois pour la publication des conclusions complètes. Mais le temps long des expertises techniques convient mal aux responsables politiques, soucieux de trouver un bouc émissaire qui leur permettra de s’exonérer de toute responsabilité quand viendront les échéances électorales. Aux yeux de la ministre espagnole de la transition écologique et de la ministre portugaise de l’environnement et de l’énergie, il y a plusieurs candidats à clouer au pilori, dont la France et le peu de dynamisme de sa politique en matière de construction d’interconnexions. 

La presqu’ile électrique ibérique et ses amarres avec le réseau européen 

Le système électrique liant Espagne et Portugal n’est pas totalement isolé du réseau européen, mais les Pyrénées constituent un obstacle couteux à la construction de connexions avec la France, et donc avec le reste de l’Europe. Sur la période 2022- 2023, l’Espagne disposait d’une capacité commerciale moyenne d’importation de 2,2 GW avec la France via 6 lignes (rapport CRE, page 24). La construction de l’interconnexion Golfe de Gascogne, essentiellement sous-marine, entre Gatica (près de Bilbao) et Cubnezais (près de Bordeaux), a pour objectif de porter la capacité d’interconnexion physique à 5 GW d’ici 2028. 

Pour les responsables politiques espagnole et portugaise, des capacités plus élevées auraient permis d’éviter le blackout du 28 avril. La France n’est pas à l’origine de la panne, mais c’est sa politique atone en matière d’interconnexions qui expliquerait l’amplitude géographique et la durée de l’incident. De fait, malgré des demandes répétées de Lisbonne et Madrid, les interconnexions ne représentent que 3% de la capacité de production de la péninsule. Début juin 2025, les gouvernements espagnol et portugais sont revenus à la charge en envoyant une lettre au gouvernement français et au Commissaire européen à l’énergie pour que soit organisée avant la fin 2025 une réunion en vue d’arrêter une feuille de route pour fixer un objectif de 15 % d'interconnexions d'ici 2030 (voir 20 minutos). 

Interconnexions et risque systémique 

Les interconnexions permettent de créer un grand marché et, « par temps de tempête, elles garantissent un degré de sécurité d’approvisionnement important et sont le symbole de la solidarité européenne (CRE) ». Mais elles ne présentent pas que des avantages. Elles transmettent aussi les problèmes d’un pays à l’autre. Ainsi, la panne du 28 avril qui a commencé à 12h33 dans le sud de l’Espagne pour s’étendre ensuite à tout le territoire ibérique a entrainé la déconnexion des systèmes français et marocain (voir RTE). Elle s’est néanmoins transmise de l’autre côté des Pyrénées car une partie du Pays basque français a été délestée et le réacteur n°1 de la centrale de Golfech s’est arrêté automatiquement à 12h34.  

Que serait-il arrivé si les capacités transfrontalières avaient été plus grandes ? Puisque, à l’heure de l’incident, l’Espagne était exportatrice d’électricité vers la France, il n’est pas illogique de supposer que la France, plus dépendante des importations venant du sud, aurait été plus fortement impactée et qu’il lui aurait été plus difficile de participer à la restauration du réseau ibérique. Mais ce n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Il ne suffit pas de créer une interconnexion pour que des flux d’énergie plus importants circulent dans les réseaux. Il faut aussi que les réseaux en amont et en aval de la ligne transfrontalière puissent acheminer une plus grande quantité d’énergie, ce qui pose le problème du financement des renforcements des réseaux nationaux des deux côtés de la frontière.   

Les autres fauteurs de trouble 

La Ministre espagnole de la transition écologique a organisé le 17 juin 2025 une conférence de presse pour présenter un rapport commandé par son gouvernement (voir El Pais). Sans attendre les conclusions des experts de ENTSO-E, le rapport identifie deux coupables : i) l’opérateur du système (Red Eléctrica de España) qui aurait mal évalué les besoins en capacité de réserves pour la journée du 28 avril (accusation rejetée par Red Eléctrica dans un rapport du 18 juin) et ii) les entreprises de génération qui n’ont pas corrigé comme elles l’auraient dû la surtension apparue sur le réseau (elles ont évidemment renvoyé la faute sur Red Eléctrica). En plus des interconnexions insuffisantes, le gouvernement espagnol se tourne donc vers des fautes de procédure imputables à des entreprises nationales.  

Au moins, la Ministre a eu la patience de demander à des experts de rédiger un rapport. Chris White, le Secrétaire d’Etat américain à l’Energie qui se prévaut de la rhétorique trumpienne « je crois donc j’ai raison » avait pour sa part dénoncé les coupables dès le lendemain de la panne sans s’encombrer de l’avis d’experts : ce sont les énergies renouvelables qui ont plongé la péninsule ibérique dans le noir.  

On attend avec impatience le rapport de ENTSO-E !   

 

Publié dans La Tribune, le 30 juin 2025

Photo : Tim Rüßmann sur Unsplash