Sortir la communication financière de sa préhistoire comptable

11 Février 2016 Finance

On entend souvent dire que les marchés financiers poussent les patrons à privilégier les résultats comptables de court terme au détriment de la profitabilité de long terme. Cette critique n'est pas nouvelle, mais elle prend du poids lorsque c'est un grand investisseur qui la porte. La semaine dernière, Larry Fink, le PDG de BlackRock, société qui gère 4.500 milliards de dollars, a publiquement reproché aux grandes entreprises de céder au court-termisme des marchés. Pour lutter contre le court-termisme, il préconise notamment une réduction d'impôt pour les actionnaires qui restent longtemps au capital.

La lettre de Fink mérite un peu de décryptage. De par sa taille, sa société est condamnée à être un gros investisseur dans quasiment toutes les grandes entreprises du monde, souvent de manière passive, via des fonds qui reproduisent simplement des indices boursiers. Sa demande que les investisseurs de long terme bénéficient d'avantages fiscaux renforcés doit donc être prise avec un peu de recul.

Mais sur le fond, le point de vue de Fink n'est pas sans fondement. A la source du court-termisme, il y a un problème de transmission d'information entre les entreprises et les investisseurs, bien documenté par la littérature économique. Lorsque les résultats d'une entreprise sont en passe d'être décevants, les patrons ont effectivement tendance à tailler dans les dépenses de long terme (comme la R&D) pour créer un effet d'optique rassurant sur les profits. Cet effet est plus fort lorsque l'entreprise est principalement détenue par des investisseurs de court terme. Par ailleurs, les entreprises utilisent des astuces comptables pour éviter d'avoir des revenus inférieurs aux prévisions. Les marchés sont au courant de ce petit jeu, mais les entreprises sont malgré tout incitées à enjoliver leurs résultats : des profits décevants seront interprétés par certains comme le signe que la société est incapable de sauver les apparences donc en mauvaise santé. On aboutit ainsi à un jeu de rôle rudimentaire sans réelle communication entre entreprise et financiers.

Les investisseurs qui entretiennent ce « mauvais équilibre » sont surtout les analystes et gestionnaires qualitatifs, qui, noyés par les chiffres comptables, se focalisent trop sur le résultat net de l'entreprise et ont des biais de perception systématiques. En revanche, contrairement à leur réputation, les fonds quantitatifs qui font de l'analyse fondamentale, parce qu'ils peuvent analyser et comparer sans préjugé et sans limite des masses de données, sont typiquement capables de détecter les manipulations des comptes et donc de rétablir partiellement une certaine objectivité dans les prix.

Pour que les investisseurs quantitatifs puissent analyser plus en détail les firmes, la comptabilité traditionnelle est devenue datée, trop rustique. La nouvelle communication financière doit être basée sur un tableau de bord rénové, explicitant l'anticipation de trajectoires d'investissements et de résultats chiffrés projet par projet, et incluant des dimensions extrafinancières comme l'emploi, l'environnement, l'innovation. Un effort de standardisation, similaire à celui des normes comptables, doit être fait au niveau international. Les investisseurs quantitatifs, épaulés par une capacité d'analyse et de calcul non biaisée, pourront alors évaluer, en temps réel, la trajectoire des entreprises. Et, là-dessus Fink a raison, la publication du profit trimestriel cessera enfin d'être l'obsession toxique du management.

Au final, si la lettre de Fink pose de bonnes questions, il ne faut pas se tromper sur les conclusions qu'elle implique : le retour vers le long-termisme ne passe par la disparition de la finance quantitative, ou par une évolution du rapport de force en faveur du management. La clef, c'est de faire sortir la communication financière de sa préhistoire comptable : la qualité de l'information sur la stratégie des entreprises, et le traitement en masse de cette information sont le chemin pour rendre la finance plus utile.

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