Gaz et électricité à tous les étages

25 Février 2016 Energie

Difficile d’aborder un pan de la politique sans lui trouver un lien avec des problèmes d’énergie et, symétriquement, la plupart des décisions prises en matière énergétique ont des effets multiples, difficiles à prévoir et maitriser, sur de nombreux domaines de la vie sociale. On peut donc comprendre, sans pour autant l’approuver, pourquoi les gouvernants n’aiment pas abandonner à des régulateurs sectoriels et aux autorités de la concurrence le contrôle d’une industrie aussi essentielle. On comprend mieux aussi la réticence des gouvernements nationaux à laisser Bruxelles construire une Union de l’énergie. Pourtant, ils ont beaucoup à y gagner.

 

  1. Résilience et clairvoyance

Dans une communication publiée en 2015 sous le titre « Paquet Union de l’Energie » (et sous-titrée plus élégamment « Cadre stratégique pour une Union de l'énergie résiliente, dotée d'une politique clairvoyante en matière de changement climatique » [1]), la Commission européenne explique pourquoi l’avenir de l’Union passe par une plus grande intégration physique et organisationnelle des marchés nationaux de l’énergie. En vingt-cinq pages et quinze points d’action, la Commission résume sa stratégie, et l’accompagne d’une feuille de route précise jusqu’en 2020.

Avec la sécurisation des approvisionnements gaziers et pétroliers, la Commission traite de politique étrangère et de politique commerciale. L’efficacité énergétique l’oblige à aborder la politique du logement et les transports. Avec l’encouragement des énergies renouvelables, c’est l’innovation et l’emploi qui sont sur la sellette. Les projets d’intérêt commun en matière d’infrastructure interfèrent avec la politique industrielle et l’aménagement du territoire. Parler de participation de la demande à l’équilibrage de l’industrie électrique, c’est relancer la suppression des tarifs et la promotion de la concurrence. C’est aussi poser la question de la protection des consommateurs vulnérables.

L’Union de l’énergie représente donc une intrusion dans de nombreux secteurs économiques et oblige les autorités nationales à adapter des règles jusqu’ici basées sur des arbitrages entre intérêts locaux.

Les Etats membres ne laisseront pas les autorités de Bruxelles empiéter aussi largement sur leurs prérogatives sans résister. Ce serait pourtant souhaitable si l’on veut atteindre l’objectif rappelé dans le ‘Paquet Union de l’Energie’ : les consommateurs de l’UE (ménages et entreprises) doivent pouvoir disposer d'une énergie sûre, soutenable, compétitive et à des prix raisonnables.

Ci-après, nous examinons deux exemples d’achoppement entre intérêt national et intérêt communautaire. Le premier, réel, envisage les conséquences de l’obligation d’accroitre les interconnexions électriques. Le second imagine ce que pourrait être la politique de développement des panneaux photovoltaïques dans une Europe où le mix énergétique ne se gèrerait plus à l’échelon national.

 

  1. Sécurité énergétique

La Communication de la Commission sur la « Stratégie européenne pour la sécurité énergétique » rappelle que la dépendance de l’Union vis-à-vis de ses importations énergétiques est très élevée. [2] Pour les pays qui ne disposent pas de réserves dans leur sous-sol, les gazoducs, les ports méthaniers, les sites de stockage gazier ont plus qu’une valeur économique. Ils sont au cœur de stratégies complexes, parfois héritées de l’histoire au travers de contrats de long terme chèrement négociés, d’accords de défense et de commissions occultes. Il en va de même de tout l’approvisionnement en produits pétroliers et de la sécurité des systèmes électriques.

Il entre dans les prérogatives des autorités européennes de s’inquiéter de la sécurité d’approvisionnement énergétique des Etats membres. C’est d’ailleurs par là que tout a commencé avec la CECA (1952) et le traité Euratom (1957). Depuis le traité de Lisbonne (2007), l’énergie fait partie du domaine des compétences partagées entre l’UE et les Etats membres, ce qui signifie qu’elle est soumise au principe de subsidiarité : l’UE ne peut intervenir que si elle est en mesure d’agir plus efficacement que les États membres.

Le paquet ‘Union de l’énergie’ aborde longuement le problème de la sécurité en insistant sur la nécessité des interconnexions : « Un objectif minimal spécifique d’interconnexion a été fixé pour l’électricité; celui-ci consiste à assurer, d’ici à 2020, l'interconnexion de 10 % de la capacité installée de production d'électricité des États membres. … En 2016, la Commission fera connaître les mesures nécessaires pour atteindre un objectif de 15 % d’ici à 2030.»

Des objectifs identiques pour toutes les interconnexions ne sont probablement pas optimaux. Toutefois, même si en faisant de plus en plus dépendre chaque système électrique national des flux entrants et sortants des systèmes voisins on réduit l’autonomie de chacun, on améliore la performance commune.  Les pays Européens ayant des habitudes de consommation différentes, les centrales allemandes peuvent contribuer à passer la pointe en France, et vice versa. Mais on uniformise aussi les prix de gros, ce qui veut dire que certains gouvernements vont devoir expliquer à leurs électeurs que si le prix de l’électricité augmente à certaines heures, c’est pour le bien des citoyens d’autres Etats membres où le prix diminue.

Et il va falloir réguler différemment, à une échelle transnationale. Le Paquet Union de l’énergie aborde la question : « Il y a lieu de renforcer la régulation du marché unique au niveau de toute l'UE en renforçant significativement les pouvoirs et l'indépendance de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACRE)[3] dans ses tâches de régulation au niveau européen, afin qu'elle puisse superviser efficacement le développement du marché intérieur de l’énergie et les règles qui le régissent, et traiter toutes les questions transfrontalières qui doivent être réglées pour mettre en place un marché intérieur homogène ». 

L’orgueil national va souffrir, mais il est des choses qui se règlent mieux en laissant arbitrer des autorités internationales.

  1. Subventions aux installations photovoltaiques

En 2014, la capacité photovoltaïque cumulée installée en Allemagne se montait à 38 300 MWc et elle était de 2 600 MWc en Grèce.[4] Avec ces équipements, la même année l’Allemagne produisait 34 930 GWh et la Grèce 3 856 GWh. Le ratio énergie produite sur capacité installée, qui est un indicateur du nombre d’heures d’ensoleillement à pleine puissance, était donc de 912 pour l’Allemagne et de 1 483 pour la Grèce.[5] Nous ne discuterons pas ici du fait que, dans les deux cas, il manque beaucoup d’heures pour arriver aux 8760 heures qui font une année. Observons seulement que, puisqu’il y a 50% de potentiel solaire en plus en Grèce, il est très inefficace d’installer autant de panneaux photovoltaïques au nord, ce que tous les touristes allemands qui migrent vers le sud pour trouver le soleil pouvaient expliquer à leurs décideurs politiques nationaux dès le début du lancement des subventions aux énergies renouvelables.

Dans une Union de l’énergie, on peut donc imaginer que les autorités européennes soucieuses d’efficacité auraient orienté les aides massivement vers la Grèce (et l’Espagne, l’Italie, voire l’Afrique du nord) pour améliorer le rendement des panneaux installés plutôt que de faire de l’Allemagne le champion des capacités PV. On objectera que la consommation d’énergie est plus importante dans les pays du nord. C’est exact, mais si l’objectif est de réduire les émissions européennes de CO2, localiser la capacité de production décarbonée en Allemagne ou en Grèce est équivalent. De plus, comme nous l’avons vu, le paquet ‘Union de l’énergie’ insiste beaucoup sur les interconnexions et les échanges d’électricité dans un grand marché européen.

En fait, hors les effets redistributifs évidents, c’est sur le terrain de l’emploi qu’une telle politique énergétique commune se ferait retoquer : les sources d’énergies décentralisées demandent beaucoup de main d’œuvre pour l’installation et pour l’entretien. Les autorités allemandes ne pourraient pas faire accepter par leur opinion publique que les surcoûts prélevés sur les contribuables et les consommateurs d’électricité pour financer les installations PV partent plus au sud et créent des emplois pour produire une énergie qu’il faudra importer. C’est pourtant ce qui se passe très souvent entre régions situées dans le même espace national. Mais le sentiment d’appartenance à un espace européen commun n’est pas encore suffisant pour qu’une telle politique efficace voie le jour. En attendant, l’Allemagne continuera à connecter plus de panneaux PV que la Grèce : pendant l’année 2014, 1899 MWc pour la première, 17 MWc pour la seconde.

 

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Au moment où on parle de Brexit, il n’est pas inutile de rappeler que l’Europe a été conçue par des pacifistes pragmatiques dans le but d’éviter les guerres. Et cet objectif a été atteint. «L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait », déclarait Robert Schuman le 9 mai 1950. Quoi de plus concret que la réalisation d’une Europe de l’énergie ?

 


[2]Aujourd'hui, l'UE importe 53 % de l'énergie qu'elle consomme. La dépendance vis à vis des importations d'énergie est liée au pétrole brut (près de 90 %), au gaz naturel (66 %) et, dans une moindre mesure, aux combustibles solides (42 %) et au combustible nucléaire (40 %).”COM(2014) 330 final, http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52014DC0330&from=EN

[3] L’ACRE est installée depuis 2009 à Ljubljana (Slovénie)

[4] EurOb’servER, « Baromètre photovoltaïque 2015 », http://www.eurobserv-er.org/category/all-photovoltaic-barometers/.

[5] Pour la France, le chiffre moyen est 1 000.