La hausse des taux, une bonne nouvelle pour les banques

7 Janvier 2016 Finance

L'un des tournants économiques de l'année 2015 aura été l'amorce du resserrement monétaire aux Etats-Unis. Parmi les conséquences possibles de cette hausse des taux courts, on entend souvent parler du risque de déstabilisation du système financier mondial, qui s'est surendetté pendant les années de taux zéro. Le sort des banques est en particulier un motif d'inquiétude.

Les manuels d'économie présentent les banques comme empruntant à court terme pour prêter à long terme. C'est la fameuse transformation de maturité qui permet d'utiliser l'épargne liquide des ménages pour financer l'économie. Quand les taux courts remontent, le coût de s'endetter à court terme est plus élevé, mais les revenus issus des prêts de long terme à taux fixe, eux ne changent pas. En général, les économistes s'attendent à ce que les banques voient leurs marges baisser, ce qui réduit leur capacité à prêter à l'économie réelle.

Il s'avère cependant que cette image d'Epinal colle mal à la réalité. Tout d'abord, les dépôts, qui sont une grande partie du financement de court terme des banques, ne sont pas de la dette classique : ils ne sont pas ou peu rémunérés, constituant de facto une dette à taux fixe et faible, et à forte « viscosité » : les déposants mettent beaucoup de temps à réagir aux hausses de taux et laissent traîner leur argent sur les comptes non rémunérés. Enfin, côté recettes, les prêts de long terme consentis par les banques sont souvent à taux variable, si bien que lorsque les taux montent, leurs revenus aussi. Toutes choses égales par ailleurs, aux Etats-Unis, les profits des banques augmentent en moyenne quand les taux remontent. Ce fait étonne souvent les experts, mais l'annonce surprise de maintien des taux à zéro en septembre dernier le confirme : l'indice des banques américaines avait alors accusé une nette baisse, de l'ordre de 2 %, lorsque la Fed avait choisi de ne pas augmenter ses taux. On peut d'ailleurs documenter cet effet directement dans le bilan des banques, que la Réserve fédérale américaine collecte, harmonise et diffuse au public en temps quasi réel. En prenant les derniers chiffres disponibles (décembre 2014), on peut calculer qu'une hausse hypothétique de 100 points de base des taux courts aurait pour effet d'augmenter les profits des banques américaines d'environ 60 milliards de dollars en année pleine, soit environ 10 % des profits totaux de 2014 ! En utilisant ces données, nous avons récemment établi avec David Sraer de Berkeley que cet effet est historiquement important et limite fortement l'effet négatif d'une hausse des taux sur les prêts bancaires.

En Europe, bien sûr, la situation peut être différente, car le bilan des banques est structuré différemment. En Belgique, aux Pays-Bas, ou en Allemagne, les banques font essentiellement des prêts à taux fixes pour l'immobilier ; inversement, en Italie, Portugal ou Espagne, le gros des prêts immobiliers sont à taux variables. Côté recettes, les banques du sud de l'Europe pourraient donc bénéficier d'une hausse des taux de la BCE alors que celles du Nord en souffriraient. Les banques françaises, même si c'est moins le cas aujourd'hui, sont historiquement plus dépendantes du financement de marché (donc ont un coût de financement plus sensible aux taux courts), et ont aussi tendance à prêter à taux fixe sur le marché immobilier. Elles pourraient donc souffrir d'un resserrement futur des taux européens. Mais, pour aller au-delà de ces spéculations, il faudrait disposer en Europe de la même qualité d'information qu'aux Etats-Unis. Malheureusement, les banques centrales nationales bloquent la diffusion de ces données au motif qu'il faut éviter de déclencher des paniques bancaires sur les banques les plus vulnérables. Il faut autoriser la BCE à mener une politique plus active de dissémination des données financières ; faute de quoi le système bancaire restera opaque et peu analysé… car les économistes européens continueront de travailler sur données américaines.

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