En attendant la COP 22

27 Janvier 2016 Energie

La 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015, plus connue comme COP 21, s’est tenue à Paris du 30 Novembre au 12 Décembre 2015. 40 000 personnes ont participé à cet évènement diplomatico-médiatique, qui a finalement produit un document signé par 195 pays pour rappeler que la planète se réchauffe. Et alors ?
 

1. « Houston, nous avons un problème » (Apollo 13)

Voici un peu plus d’un mois que la COP 21 est terminée.

Après cet engagement solennel et enthousiaste à régler le problème très grave et très urgent du changement climatique, on pouvait espérer des signataires une mobilisation quasi immédiate de leurs opinions publiques et de leurs électeurs pour annoncer des mesures radicales de mise en œuvre des propositions faites pendant la phase de préparation.

Il n’en est rien. Comme on pouvait s’y attendre, l’actualité locale et court-termiste a repris ses droits. En application du principe du passager clandestin (« Pourquoi paierais-je alors que les autres peuvent payer à ma place ? ») et du principe de Juncker (« Nous savons tous ce qu’il faut faire. Ce que nous ne savons pas, c’est comment être réélus si nous le faisons. »), chacun compte sur les autres pour qu’ils fassent aujourd’hui l’effort individuel conduisant au bénéfice collectif d’une maitrise du changement climatique.

Nous sommes tellement loin de la solution que, le 12 janvier lors du discours sur l’état de l’union, le président de « l'économie la plus forte, la plus durable du monde », en était encore à essayer de convaincre ses adverses républicains que le réchauffement climatique EST un problème (républicains dont il n’est pas exclu qu’ils prennent la Maison Blanche en janvier 2017). De fait, le discours du président Obama est révélateur de la vraie nature de l’accord de Paris : un rappel du fait que nous faisons face à problème planétaire très sérieux. Mais on est loin du compte pour ce qui est d’y apporter une solution.
 

2. “La diplomatie, c’est l’art d’envoyer les gens au diable de telle façon qu’ils demandent comment y aller.”  (W.S. Churchill)

Si la diplomatie est l’art des petits pas et du non-dit, alors l’accord de Paris est une grande réussite diplomatique. Comment ne pas adhérer à des formulations telles que    

« Les Parties …,

Conscientes que les changements du climat de la planète et leurs effets néfastes sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière,

Préoccupées par le fait que l’activité humaine a augmenté sensiblement les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, que cette augmentation renforce l’effet de serre naturel et qu’il en  résultera en moyenne un réchauffement supplémentaire de la surface terrestre et de l’atmosphère, ce dont risquent de souffrir les écosystèmes naturels et l’humanité,…,

Résolues à préserver le système climatique pour les générations présentes et futures,

Sont convenues de ce qui suit:  …»

Hors le cercle des climato-sceptiques, on ne peut être que d’accord avec les préoccupations exprimées. Oui, mais ces lignes ne sont pas extraites de la résolution de la COP 21. Elles sont tirées de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, laquelle date de 1992.

De fait, l’accord de Paris c’est cela et seulement cela : le rappel, avec quelques raffinements, d’un problème identifié il y a un quart de siècle. Le rappel étant fait, on se dépêche de penser à autre chose.

Bien sûr, il y a eu des promesses faites lors de la phase préliminaire de la COP 21, les bonnes résolutions baptisées INDC (Intended Nationally Determined Contributions).[1] En réalité elles n’ont aucune valeur d’engagement. Sous l’angle de la procédure, c’était une réunion des Carboniques Anonymes : « demain j’arrête. »

 

3. “Un repas gratuit, ça n’existe pas.” (V. Pareto)

Lors de la conférence de Rio en 1992 s’est produit un changement radical de paradigme. Jusqu’alors, le principal obstacle au développement mis en avant était la raréfaction, suivie de l’épuisement inéluctable, des énergies fossiles. Progressivement a commencé à s’imposer l’idée que la vraie rareté est plutôt la capacité de l’environnement à traiter nos déchets, en particulier la capacité de l’atmosphère à absorber nos émissions de gaz à effet de serre.

Ce qui manque dans le texte de la COP 21, c’est la reconnaissance explicite de la nature économique de ce problème, et de la solution qui en découle : puisque notre environnement est une ressource rare, son utilisation a un coût, donc il faut faire payer les utilisateurs.

Et puisque l’émission d’une tonne de gaz à effet de serre (GES) augmente le stock atmosphérique de gaz responsables du réchauffement de la même façon, quel que soit le lieu d’émission, quelle que soit la date d’émission, quelle que soit la technologie d’émission, puisque toutes les tonnes émises créent le même dommage environnemental, il faut un prix unique mondial de la tonne de GES servant de référence aux agents publics et privés pour leurs décisions d’investissement, de production et de consommation.

Le prix d’usage de l’environnement peut être fixé par les autorités ou par des mécanismes marchands. Mais les Etats rechignent face à l’idée d’un prix à payer pour l’utilisation de l’environnement, alors même que la plupart des économies développées ont inscrit dans leur corpus législatif le principe pollueur-payeur.

 

4. “Un prix, des prix.” (Larousse)

Le paradoxe est que si la COP n’a pas voulu d’un prix explicite du carbone, elle entérine en fait la création ou la pérennisation de milliers de prix implicites. En effet, le calcul économique nous enseigne que toute mesure contraignante de politique publique provoque un effet sur l’économie qui se mesure par une valeur duale, ou shadow price. Chacune des mesures qui seront prises par les Etats participants à la COP 21 va générer son propre prix, avec l’inconvénient économique, mais l’avantage politique, de rester caché. C’est seulement le travail de bénédictin de quelques chercheurs qui mettra à jour le gaspillage provoqué.

Par exemple, en Allemagne pour la période 2006-2010, Marcantonini et Ellerman (MIT) chiffrent à 43 euros le coût d’abattement de la tonne de CO2 en recourant aux éoliennes et à 537 euros quand on installe des panneaux photovoltaïques.[2] Au même moment, sur le marché européen des quotas d’émission, la tonne de CO2 se négociait (sans se cacher) à moins de 10 euros. Une telle combinaison de technologies est totalement inefficiente.

En effet, puisque le but est de réduire les émissions de GES, puisque tous les pays sont concernés, et puisque tous les pays ont des problèmes financiers, il faut combiner toutes les techniques disponibles partout où elles sont disponibles de façon à minimiser le coût associé à un volume annuel fixé d’émissions. Le résultat inéluctable de cette optimisation est que toutes les technologies doivent être mises à contribution jusqu’au niveau où leurs contributions marginales sont égales. Avec les prix implicites calculés ci-dessus pour l’éolien et le PV allemands, aussi différents entr’eux, et aussi différents du prix explicite des quotas européens d’émission, on est très loin du compte. Autrement dit, ces politiques non coordonnées, basées sur les initiatives nationales ou régionales, infligent aux populations un surcoût exorbitant ; en France, nous le finançons par la Contribution au Service Public de l’Electricité

Il faut donc fixer une valeur de référence pour les émissions de GES, variable dans le temps pour tenir compte de l’effet d’accumulation dans l’atmosphère. Entre la méthode taxe et la méthode prix de marché, notre préférence va au marché.

En effet, la taxe Pigouvienne couvrant exactement le dommage environnemental provoqué est très compliquée à calculer et susceptible de beaucoup d’erreurs. Par ailleurs, elle offre de multiples occasions de manipulation par les autorités.

Dans la solution par le marché, l’offre de permis d’émission peut être calculée à partir des informations fournies par le GIEC. La demande est celle des assujettis. Il reste des possibilités de manipulation politique mais elles sont plus difficiles à dissimuler.  

Comme pour les actifs matériels (immeubles, terrains, machines), comme pour les actifs financiers (actions, obligations, options), comme pour les actifs immatériels (brevets, droits d’auteur, spectre hertzien), c’est par la création de droits échangeables que passe le traitement efficace des ressources rares. Les problèmes d’équité quant à eux se règlent par l’allocation initiale des droits et des redistributions de revenus, mais pas par la manipulation des prix. 

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En résumé :

en tant que citoyens français, en tant que citoyens du monde, nous sommes heureux que les diplomates de la presque totalité des pays aient pu mettre au point un texte appelant leur signature ;

en tant qu’économistes, nous restons aussi pessimistes que nous l’étions avant la conférence, car nous ne voyons pas dans le texte signé l’amorce d’une solution au défi que nous pose une population croissante et exigeant toujours plus dans un environnement incapable de fournir les ressources demandées et d’absorber les déchets gazeux, liquides ou matériels produits.

 

[2] Marcantonini and Ellerman (2013) “The Cost of Abating CO2 Emissions by Renewable Energy Incentives in Germany”, MIT CEEPR 2013-005, http://web.mit.edu/ceepr/www/publications/workingpapers/2013-005.pdf