La “clause du grand-père", une méthode pour réformer

4 Février 2016

Connaissez-vous la clause du grand-père, qui permet de réformer de manière importante, sans mettre des centaines de milliers de gens dans la rue ? Elle consiste à n'appliquer une réforme qu'après une date bien définie à l'avance (parfois plusieurs années après). Elle ne réforme que l'avenir, sans rien changer au passé et sans révolutionner le présent. Elle ne concerne que les futurs nouveaux bénéficiaires (une minorité) sans toucher les gens déjà installés (la majorité). Elle évite de jeter dans les rues les bénéficiaires des droits acquis, tandis que les futurs nouveaux entrants, seuls concernés par la réforme, ne sont pas coalisés pour s'opposer. C'est ce que fit le Premier ministre Mendès France quand il abolit, en 1954, la transmission par héritage du privilège des bouilleurs de cru. Sa réforme préservait le privilège des personnes existantes et ne commençait que cinq ans plus tard (ce qui fut le cas). Ce fut le seul moyen de surmonter l'opposition farouche des députés ruraux.

Prenons le marché du travail. Il y a aujourd'hui quasi-consensus sur la bonne réforme : une combinaison de flexibilité à licencier, de sécurité professionnelle et sociale pour les salariés et, enfin, de réduction forte de l'incertitude sur le droit des contrats de travail. C'est ce que firent avec grand succès les sociaux-démocrates danois entre 1993 et 2003. C'est ce qu'a décidé le Premier ministre italien Renzi au début 2015. Avec succès car 200.000 emplois ont été créés depuis, avec un taux de chômage baissé de 1 point - contre une stabilité en France. Pourquoi donc MM. Valls et Hollande, qui ont lié leur destin à la baisse du chômage, ne les ont-ils pas copiés ? Ils auraient pu annoncer à leur majorité : « Nous nous inspirons de grandes réformes de gauche européenne, couronnées de succès… » Ils n'ont rien fait alors même qu'ils savaient quoi faire. La seule hypothèse rationnelle est qu'ils ont craint qu'une flexisécurité à la française eût d'abord induit de forts licenciements d'ici aux élections de 2017, à cause de la faible croissance et de sureffectifs dans les entreprises, en ne créant des emplois qu'à partir de 2018. La réponse à cette crainte était pourtant facile : n'appliquer la réforme du marché du travail qu'aux nouveaux contrats signés après la réforme (c'est d'ailleurs ce qu'a fait Renzi). Hollande n'a pas été assez grand-père !

La clause du grand-père pourrait aussi être utilisée pour le logement - dont le dysfonctionnement est analogue à celui du travail. Après que la France a usé et abusé de subventions publiques tout aussi massives (2 % du PIB) qu'inefficaces, toute réforme significative de l'offre de logement passera par une libéralisation des conditions de fin de bail (analogue au licenciement) et par la capacité des propriétaires à recouvrer rapidement leur bien en cas de non-paiement des loyers, le tout accompagné d'un volet social (aide au logement pour les plus démunis). Pour éviter d'avoir des millions de locataires dans la rue, un gouvernement réformateur pourrait n'appliquer la réforme qu'aux baux signés deux ans après ou une fois passées les prochaines élections nationales.

Enfin, toute réforme des lycées ou des universités entraîne son cortège de manifestations de lycéens et d'étudiants. Pour éviter cela, il suffirait que ces réformes ne s'appliquent que quatre ans après la décision de réforme et ne concernent que les générations pas encore au lycée ou à l'université lors du vote de la loi.

La clause du grand-père pourrait s'appliquer aisément à nombre de dossiers économiques ou sociaux. Certes, avec elle, les réformes sont retardées et incrémentales, mais, au moins, elles adviennent. Si nos gouvernements passés avaient systématiquement utilisé cette clause depuis trente ans, même avec effets retardés de plusieurs années, la France fonctionnerait aujourd'hui beaucoup mieux et ces réformes auraient été acceptées tant par la gauche que par la droite.

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