Le financement de la transition écologique en Afrique subsaharienne

5 Février 2024 Transition énergétique

En Afrique, l’un des facteurs de modération de l’enthousiasme qui a suivi la déclaration finale de la COP 28 est l’incertitude liée à la couverture des coûts de la transition énergétique combinée à la généralisation de l’accès à l’électricité. Les pays du continent sont très hétérogènes en termes de capacité de paiement des populations, de diversification des sources d'énergie, de caractéristiques institutionnelles, de stabilité politique et de potentiel de croissance économique. Il y a aussi de fortes inégalités pour accéder aux sources de financement privé et public et pour supporter la charge de la dette sur la durée.  

 

Le chiffrage des besoins financiers 

L’Agenda 2063 pour l’Afrique du futur de l’Union Africaine (publié en 2020) défend une vision du développement durable spécifique à chaque pays, ancrée dans une perspective régionale commune. Malgré cet engagement politique fort, la difficulté pour trouver des financements destinés à la lutte contre les risques climatiques reste sous-estimée. 

Il est difficile de donner un chiffre précis des besoins parce que non seulement les sources d’information diffèrent en termes d’objectifs spécifiques, d’hypothèses de croissance, de technologie ou de vitesse d’exécution, mais, de plus, elles utilisent rarement les mêmes méthodes d’estimation. L’évaluation la moins dispersée est celle des besoins d’investissements en Afrique sub-saharienne (AS) pour parvenir à l'accès universel à l'énergie moderne d’ici à 2030, plus prosaïquement pour donner aux ménages l’accès à l’électricité. Les chiffres vont de 25 à 30 milliards de dollars US ($US) par an, soit de 1,2% à 1,6% du PIB médian selon les projections de croissance et l’évolution prévisible des technologies. Il faut y ajouter le coût des investissements pour répondre à la demande non-résidentielle sur un continent en croissance rapide. Ces coûts additionnels seraient de l’ordre de 50-60 milliards $US par an, mais ces estimations sont plus incertaines. En tout, on parle déjà de plus de 3.5% du PIB médian par an pour satisfaire la demande projetée. 

Quand on regarde le coût de la transition écologique, les chiffres sont plus incertains. Si on en croit les organisations internationales, les coûts annuels d’adaptation pourraient atteindre 50 milliards $US d’ici 2050 et les coûts d’atténuation 190 milliards $US au moins jusqu’à 2030. Ceci représente, par an, plus de 10% du PIB médian de la région, en plus des montants nécessaires à la demande cités plus haut et ceux, souvent sous-estimés, nécessaires à l’entretien des investissements. Enfin, il faut y ajouter un montant minimum de 100 milliards $US par an d’ici à 2030 au moins, pour compenser les pertes et dégâts liés au changement climatique en AS (autour de 5% du PIB chaque année pour cette période).  

La facture annuelle totale serait donc au moins de 400 milliards $US (proche des 20% du PIB annuel médian projeté de l’AS). Même s’il y a certainement des doubles comptages, les ordres de grandeur sont suffisants pour démontrer la nécessité d’un effort de co-financement global des besoins de l’Afrique subsaharienne.  

 

Des sommes introuvables 

Malgré les discours politiques, les difficultés pour lever les fonds nécessaires sont énormes. Elles sont similaires à celles rencontrées pour le financement des objectifs de développement durable (ODD), tels que l’accès à une énergie propre et d’un coût abordable (ODD7) et les mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques (ODD13). En termes de financement, les engagements de la COP 28 entrent en concurrence avec certains de ceux liés aux ODD (par exemple, assainissement, éducation et santé), ce que les bailleurs de fonds ne sont pas prêts à reconnaitre en public. Dans le contexte économique actuel (croissance ralentie) et géopolitique (guerre en Ukraine et au Moyen-Orient), la tendance à financer l’aide au développement est plutôt à la baisse et s’éloigne de l’objectif des 0.7% du PIB de pays riches.  

Malheureusement, il n’y a pas d’autre solution qu’un co-financement global pour une région dont la capacité à générer des ressources fiscales et des revenus sectoriels dans les services publics est très limitée. D’autant plus que la région est pressée par ses créanciers qui exigent les paiements du service de la dette sur un stock moyen de dette supérieur à 70% du PIB. La contrainte locale ne semble pas avoir été internalisée totalement par les acteurs globaux lors de la COP 28. Les participants y ont parlé de changements rapides des règles de financement. Mais les précisions sur ces changements se font attendre.  

 

Ce qui doit changer dans le financement des engagements des COPs 

Si la nécessité d’une plus forte compatibilité entre le financement du développement économique et celui de l’urgence climatique est maintenant reconnue, on en reste encore à des promesses insuffisamment ancrées dans des estimations robustes des contributions nécessaires. Les chiffres restent vagues et décevants, et on ne voit pas naitre de nouveau modèle capable d’attirer du financement privé pour compenser les contraintes des sources publiques. 

Lors de la COP 28, les pays les plus riches se sont engagés à soutenir la levée des 400 milliards $US par an nécessaires, soit un doublement de ce que toute l’Afrique reçoit annuellement, toutes sources et tous secteurs confondus. Les montants actuellement engagés globalement (et non seulement pour l’AS) sont insuffisants pour permettre un respect des promesses globales de financement. Pour l’Afrique dans son ensemble on parle d’un engagement de 10 à 20% des besoins à ce stade.  De plus, l’engagement est biaisé en faveur des efforts d’adaptation au détriment de la demande d’énergie résidentielle et non-résidentielle. Au mieux, ces montants sont des leviers pour attirer d’autres financements.  

La liste des autres sources potentielles est longue et tout aussi mal chiffrée. Les dettes souveraines pourraient être restructurées et les contrats futurs affinés pour inclure des termes plus généreux liés à la dette climatique et au développement durable. D’autres pistes incluent une réorientation des droits de tirage spéciaux du FMI. D’autres encore parient sur la créativité des acteurs financiers internationaux privés et publics et leur disposition à prendre des risques sortant de leurs habitudes, tout en internalisant les limites au coût du capital privé que les pays d’AS peuvent supporter. Le changement devrait idéalement promouvoir la capacité locale de contribuer aux transformations nécessaires, par exemple, en développant la possibilité de se reposer sur une dette en monnaie locale à des taux abordables pour des acteurs locaux. 

De plus, pour que ces financements soient utiles, les politiques sectorielles qui bloquent l’utilisation rapide des ressources devront aussi être modifiées. Par exemple, les règles de marché public imposées par les organisations internationales et les régulations des marchés de l’énergie sont souvent biaisées en défaveur des petites entreprises locales. Or celles-ci sont très présentes, souvent grâce aux ONG, avec des technologies pouvant réagir plus rapidement que les grands acteurs traditionnels du secteur. Elles sont essentielles au développement de mini-réseaux qui sont basés sur les énergies renouvelables, plus rapides à installer et souvent moins coûteux à entretenir.  

 

Perception et traitement des risques 

Les réformes nécessiteront quelques expérimentations pour tester leur efficacité à susciter l’arrivée de nouveaux acteurs globaux et locaux. Pour les marchés publics, ces expérimentations devront tester de nouvelles techniques d’octroi de contrats permettant l’inclusion des petits acteurs qui peuvent devenir rapidement opérationnels dans un contexte de faible gouvernance. Pour la régulation, des changements de politiques tarifaires permettant d’envoyer des signaux clairs aux investisseurs tout en protégeant les consommateurs devront être évalués en fonction de leur efficacité pour trouver du financement global et local dans des délais très brefs.  

Sans de tels changements, le rêve de l’accès universel à l’électricité produite avec des technologies propres ne se réalisera pas dans les délais prévus. L’arbitrage entre la viabilité financière, quelle que soit la technologie, et la disposition à payer des consommateurs ralentira la transformation énergétique. L’analyse des options de réformes ainsi que celle des détails de leur mise en œuvre font partie de la gestion des risques nécessaire pour réduire les arbitrages qui retardent les financements. Sans une prise de conscience des besoins de réformes nécessaires à la réduction de la perception des risques, les flux de capitaux vers l’AS resteront des rêves irréalisables comme c’est toujours le cas pour le financement des ODD. 

 

Publié dans La Tribune
Photo : UNclimatechange - Photo by COP28 / Christopher Pike