Notre système financier est-il fiable ?

4 Juin 2018 Finance

La crise financière de 2008 et la crise de l'euro ont toutes deux pour origine des institutions de régulation défaillantes. En dépit de contrôles renforcés et de réformes profondes, notre système financier est-il plus fiable aujourd'hui ? Quelques réflexions dans le paysage financier post-crise. 

Aucun instrument financier ni aucune transaction n'est répréhensible en soi pourvu que a) le risque soit bien compris par les personnes les utilisant et que b) il ne soit pas employés pour faire courir à une tierce partie un risque dont elle n'a pas conscience. Bien utilisés, les instruments financiers contribuent au dynamisme de l'économie. Il est plus constructif de s'engager dans le débat inévitablement technique sur les défaillances du marché et de la régulation que de rejeter en bloc les acquis de la finance moderne.

Et si les faibles taux d'intérêt nous rendaient incapables de redynamiser les marchés et d'empêcher le récession et le chômage ?

Mais il est indéniable que ces instruments complexifient la supervision du système financier, que ce qui est qualifié d'"innovation financière" n'est souvent qu'un moyen de contourner les règles et d'exposer les petits investisseurs ou les contribuables à des risques importants et qu'il faut pourchasser les nombreux abus. 

Faibles taux d'intérêt 

Peu après la crise de 2008, les banques centrales américaine, européenne et britannique ont injecté un excès de liquidités et baissé leurs taux d'intérêt à des niveaux proches de zéro, autrement dit à des niveaux négatifs favorisant l'inflation. Le Japon a un taux d'intérêt inférieur à 1 % depuis le milieu des années 1990, en 2017, il était égal à zéro. 

Ces faibles taux d'intérêt permettent de fournir des liquidités en cas de difficultés. Toutefois, ces faibles taux d'intérêt ont des effets redistributifs gigantesques (notamment des épargnants vers les emprunteurs) qui ne sont pas toujours voulus. Ils sont un terreau propice à la naissance de bulles financières et incitent à la prise de risque, posant ainsi les bases de la prochaine crise. Et lorsque l'on arrive à des taux nominaux nuls, la banque centrale ne peut plus les utiliser pour relancer l'économie. 

Et si les taux d'intérêt bas n'étaient pas un phénomène temporaire ? Et si la politique monétaire était incapable de redynamiser les marchés et d'empêcher la récession et le chômage ? Ce qui est avéré est la tendance à la baisse des taux d'intérêt sur les actifs sûrs depuis les années 1980. Si ces faibles taux d'intérêt perdurent, nous devrons sérieusement reconsidérer nos politiques macroéconomiques.

Le risque zéro n'existe pas 

Nous devons répondre énergiquement aux défaillances de la règlementation financière et réduire la fréquence et l'ampleur des crises, mais nous ne pourrons pas éliminer tout risque de crise. La règlementation et la supervision prudentielles sont un art plus qu'une science mais nous pouvons appliquer un certain nombre de principes généraux. 

En 2008, plusieurs économistes, dont moi-même, recommandaient de protéger les institutions régulées du risque d'une contagion partant du secteur non régulé ; de renforcer leurs ratios de solvabilité et de mettre plus d'emphase sur la liquidité ; de rendre la régulation moins cyclique ; de surveiller la structure de rémunération des dirigeants de banque de façon à limiter la prise de risque ; de maintenir la titrisation tout en en surveillant les modalités ; de surveiller les agences de notation ; de repenser les "infrastructures de régulation" ; et, dans le cas européen, de créer un poste de superviseur à l'échelle européenne au sein de la BCE. Les réformes réglementaires vont en partie dans ce sens.

Si les réformes sont mises en œuvre, le système financier sera moins risqué : les réformes faites par Bâle III semblent aller dans le bon sens.

Des systèmes plus fiables

Les régulateurs, les banques centrales et les gouvernements ont été contraints d'intervenir pour sauver de la faillite les institutions financières qu'ils ne régulaient pas, par le biais de renflouements, d'achats de produits toxiques et de politiques monétaires plus souples. Des réformes doivent empêcher, dans la mesure du possible, les difficultés du système bancaire parallèle de s'étendre à la sphère régulée. 

Nos connaissances actuelles doivent nous pousser à rester modestes. Les économistes disposent encore de peu de connaissances sur la régulation prudentielle, y compris sur le périmètre souhaitable de responsabilisation des investisseurs quant à leurs investissements dans des institutions régulées ainsi que sur un bon calibrage des exigences en capital et en liquidité.

Toutefois, si les réformes sont mises en œuvre, le système financier se révèlera moins risqué qu'auparavant : les réformes faites par Bâle III semblent aller dans le bon sens. Une demande croissante de fonds propres, l'introduction d'un ratio minimal de liquidités, l'intégration de mesures macroprudentielles sous forme de coussins de fonds propres contracycliques, une utilisation plus importante des marchés centralisés au détriment des marchés de gré à gré, des réformes institutionnelles (par exemple la création d'un mécanisme de contrôle européen unique) sont des améliorations réelles. 

Zones de risque

Il existe cependant toujours des zones de risque importantes. D'un côté, les principes réglementaires diffèrent de leur mise en œuvre et de leur supervision. Il est important que la transposition des accords internationaux dans les droits nationaux et la supervision des banques par les autorités réglementaires nationales n'entache pas l'esprit de ces accords.

Les préoccupations macroéconomiques incluent notamment la croissance mondiale plus lente, la volatilité des marchés financier, et des interrogations sur la manière de sortir de ces politiques de taux d'intérêt bas sans compromettre la croissance. 

D'autres inquiétudes découlent de la combinaison d'un risque géopolitique et des conditions économiques locales, par exemple, en Europe les chocs politiques tels que le vote sur le Brexit au RU, l'incertitude politique sur la construction européenne, la faiblesse structurelle de certaines économies, la fraction importante de prêts non productifs dans les bilans des banques européennes (notamment les banques italiennes) et les relations étroites entre banques et États souverains. En Chine, les incertitudes face au passage d'une économie de rattrapage à une économie à la frontière de la technologie et à une mutation institutionnelles (y compris la gestion de sa bulle de crédit et la réforme de ses marchés financiers). Dans les pays émergents, un surendettement en devises étrangères qui peut mettre les entreprises et les banques en difficulté si le recours local aux matières premières est associé à une gestion inadéquate des risques. 

Extraits édités de mon livre Économie du bien commun.