Immigration: ces faux débats qui masquent la réalité

20 Janvier 2023 Public policy

Une nouvelle loi sur l'immigration est en passe d'être votée. Avec une volonté affichée de réduire les flux entrants qui sont pourtant limités dans l'Hexagone. La réalité, c'est que la France a besoin de la main-d'oeuvre immigrée et qu'elle est complémentaire avec celle des travailleurs natifs, explique Frédéric Cherbonnier.

Le gouvernement s'apprête à déposer une nouvelle loi sur l'immigration, la 21e depuis la loi Pasqua de 1986, sans chercher à s'attaquer aux nombreux préjugés qui brouillent le débat - en particulier la croyance selon laquelle la France serait un pays permissif en matière d'immigration, attirant en masse des étrangers désireux de profiter de notre protection sociale.
Or, c'est tout le contraire! En matière d'acceptation de demande d'asile par des réfugiés, la France se situe au 17e rang européen. En ce qui concerne le regroupement familial d'enfants et de conjoints d'un ressortissant étranger installé en France, les flux ne représenteraient qu'environ 35.000 personnes par an - un taux dérisoire de 0,05 % de la population. L'essentiel des flux migratoires (mesurés par la délivrance de titres de séjour) correspond aux étudiants et, dans une moindre mesure, au regroupement familial d'enfants et de conjoints de français - l'immigration économique étant réduite à la portion congrue. Et ces flux restent modérés dans notre pays, deux fois moins que la moyenne de l'UE ou de l'OCDE.
Enfin, les migrants ne viennent pas pour notre Etat providence: à cet égard, la France n'est pas attractive, ceux-ci préférant souvent aller voir ailleurs dans des pays offrant une moindre protection sociale. In fine, l'impact sur l'équilibre des comptes sociaux serait faible car ces migrants travaillent, donc cotisent, pour une large partie d'entre eux et, plus jeunes, pèsent moins sur les branches vieillesse et maladie. Au lieu de nous mettre face à ces réalités, et pour rassurer des Français bourrés de préjugés, le gouvernement préfère afficher un semblant de compromis visant à faire le tri entre "bons" et "méchants" migrants. Il s'apprête ainsi à proposer un dispositif alambiqué reposant sur les "métiers en tension".
Le Top 30 de ces métiers, dressé régulièrement par le ministère du Travail avec plus de huit mois de retard, donne une vision trop court-termiste des besoins. Les aides à domicile, présentes dans cette liste en 2021, en sont sorties en 2022 mais réapparaissent dans celle dressée à l'horizon 2030! Surtout, il n'y a pas lieu de faire un tel tri, les besoins en main-d'oeuvre sont considérables y compris pour des métiers qui ne nécessitent que peu de formation ou de spécialisation. Il faut une démarche plus simple, permettant à un immigré travaillant depuis plusieurs années en France d'avoir les moyens de pérenniser son activité sur notre territoire. Tous les travaux économiques convergent pour dire que les migrants viennent en complément de la population locale et soutiennent la croissance. Une recomposition se produit à leur arrivée, travailleurs natifs et immigrés se répartissant sur des activités distinctes. Bien sûr, une fraction de la population française, en particulier celle peu qualifiée, peut se retrouver en concurrence avec de nouveaux arrivants et voir se dégrader un temps ses conditions d'accès au marché du travail. Mais même lors des grandes vagues migratoires vers les Etats-Unis, la France ou Israël, ce phénomène est resté marginal. L'immigration est surtout une opportunité, apportant une main-d'oeuvre peu qualifiée pourvoyeuse notamment de services à la personne mais également des travailleurs qualifiés qui sont force d'innovation.
Dans nombre de pays développés, les immigrés sont surreprésentés dans la population d'entrepreneurs et de chercheurs. Moins en France où, faute d'un débat serein, l'immigration économique reste diabolisée et insuffisante.

Article paru dans Les Echos, le 19 janvier 2023. Copyright Les Echos.fr

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