La remise en cause des marchés de l’électricité qui a marqué l’année 2022 a visé principalement le marché de gros où s’opèrent les échanges entre producteurs d’une part et, d’autre part, détaillants et gros consommateurs. Pour autant, le marché de détail, en particulier le marché de la vente aux consommateurs résidentiels, n’est pas exempt de critiques, notamment pour la discrimination tarifaire dont les ménages précaires sont susceptibles d’être les victimes.
Les vendeurs d’électricité de Baltimore
Aux USA, les Etats ont adopté des règles hétérogènes pour la vente au détail de l’électricité et du gaz (voir ICI). Pour l’électricité, la majorité des Etats en est restée au monopole régulé, huit ont adopté des formes de concurrence limitée, et treize ont choisi la concurrence totale. C’est le cas de l’Etat du Maryland où se trouve la ville de Baltimore qui a fait l’objet d’une étude sur les tarifs résidentiels. Les consommateurs y sont libres de choisir leur fournisseur, ou de souscrire au tarif régulé de l’opérateur historique, Baltimore Gas and Electric Company (BGE), et les vendeurs sont libres de leur politique de marketing et de prix. Le graphique ci-dessous représente, sur un peu plus de 4 ans, l’évolution du prix moyen du kilowattheure (en dollars) facturé aux consommateurs résidentiels de la zone desservie par BGE. Après la légère tendance à la baisse du prix en 2019 et 2020, on voit que l’envolée de 2021-2022 n’a pas touché que l’Europe. Mais le point qui retient l’attention est que la courbe du haut concerne les ménages vivant dans les quartiers (identifiés par le code postal) où le revenu médian est inférieur à 60 000 dollars, alors que les prix représentés par la courbe du bas sont ceux payés par les ménages dont le revenu médian est supérieur à 80 000 dollars.
Clairement les ménages des quartiers pauvres payent en moyenne plus par kWh que ceux des quartiers riches. Cette tarification peut être qualifiée de régressive d’un point de vue redistributif car elle aggrave les inégalités.
Maitrise des conditions contractuelles
Pourquoi la concurrence sur un produit aussi homogène que l’électricité conduit-elle à une tarification régressive ? La raison essentielle est comportementale. Les ménages les moins riches, par manque de temps et/ou de formation, ne surveillent pas l’évolution de leur facture. Ils sont insuffisamment attentifs aux occasions offertes par le marché. Or, les vendeurs utilisent souvent la méthode consistant à proposer un contrat avec un prix d’appel faible, et à passer sous silence les clauses de tacite reconduction qui prévoient des ajustements de prix à la hausse. Après quelques mois, les signataires pourraient basculer sur un nouveau contrat plus profitable, mais ils le font avec retard, voire pas du tout, par ignorance des conditions du marché. L’étude sur Baltimore met bien en évidence la conséquence de cette procrastination : il y a une relation positive entre prix facturé et ancienneté du contrat.
Pourquoi alors les ménages les plus fortunés échappent-ils à cette hausse ? L’explication est à la fois culturelle et démographique. C’est sur Internet que les ménages aisés s’informent des conditions de vente et changent éventuellement de fournisseur. Leur contrat est donc mieux ajusté aux occasions offertes par le marché et ils échappent à l’insistance des vendeurs qui font du porte-à-porte. D’autant plus que, à cause de la plus forte densité de population des quartiers pauvres, il est moins coûteux d’y faire du porte-à-porte que dans les quartiers riches.
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La discrimination spatiale au détriment des classes pauvres est un sujet de préoccupation dans tous les pays qui ont ouvert leur marché électrique de détail à la concurrence. La réponse des pouvoirs publics peut aller d’une simple obligation faite aux détaillants de proposer les mêmes contrats à tous les consommateurs résidentiels (comme ce fut le cas en Angleterre de 2009 à 2012) à la solution radicale d’un retour au tarif régulé comme c’est envisagé dans le Massachussetts (voir section 54 du texte S.2842 actuellement en discussion).
Le marché de détail, et plus particulièrement celui qui s’adresse aux consommateurs résidentiels est le maillon faible de l’industrie électrique libéralisée car les détaillants ont face à eux des agents mal informés et peu aptes à adapter leur consommation aux fluctuations des prix. Avec les hausses récentes sur le marché de gros, les tarifs réglementés de l'électricité proposent une stabilité que les offres du marché libre peuvent difficilement égaler, surtout si ces tarifs sont contraints par un «bouclier tarifaire». A la suite des soubresauts qui ont agité l’industrie électrique au cours de l’année passée, il est probable que les autorités européennes vont reconsidérer leur politique d’encouragement de la tarification de l’électricité en temps réel.