Gratuité des transports: un leurre politique

24 Septembre 2022 Transport

Plusieurs municipalités en France ou à l'étranger ont mis en place la gratuité de leurs transports publics. Si certaines expérimentations localisées ont pu se révéler positives, la généralisation de cette mesure à tout un territoire serait contre-productive. Frédéric Cherbonnier nous explique pourquoi.

La gratuité des transports en commun est une idée en vogue avec des expérimentations récentes en Allemagne et en Espagne, et plus anciennes en France comme à Aubagne et Dunkerque. La présidente de la région Occitanie Carole Delga vient même de la proposer pour l'ensemble du réseau ferroviaire français.

Si la gratuité peut être judicieuse lorsqu'elle est ciblée sur certaines catégories de la population, cette généralisation semble excessive d'autant que les arguments mis en avant ne tiennent pas. Vouloir ainsi redonner du pouvoir d'achat est un leurre car rien n'est gratuit en économie - des mesures ciblées sont bien plus efficaces.

Et il est vain de chercher par cette approche à réduire le rôle de la voiture: l'impact sur le trafic automobile est généralement marginal, les reports se font plutôt depuis des modes de transport tels que la marche et le vélo. Pour autant, d'un point de vue économique, la question reste ouverte, plusieurs arguments jouant en sens opposé.

D'un côté, lorsque le nombre d'usagers croît, la fréquence de passage des bus est augmentée ce qui améliore la qualité des dessertes. Ce phénomène appelé « effet Mohring » justifie d'attirer les passagers en tarifant au-dessous des coûts moyens, et de subventionner lourdement les transports en commun - à plus de 70 % y compris aux Etats-Unis.

A contrario, comme l'a montré le prix Nobel d'économie, William Vickrey, il convient de faire payer aux usagers leur contribution à la congestion du réseau, selon un principe similaire à celui du pollueur payeur, en tarifant plus cher aux heures de pointe. De surcroît, tout celà doit s'analyser en tenant compte des alternatives, en particulier des contraintes imposées à la voiture, et des effets croisés - entre le trafic automobile et celui des bus.

In fine, la réponse varie fortement selon l'endroit considéré et les leviers d'action envisagés. Si l'on s'interdit de pénaliser la voiture et de faire payer davantage le trafic aux heures de pointe, les travaux économiques montrent que, pour des villes comme Bruxelles et Londres, il faut tendre vers la gratuité des transports en commun. Mais une telle solution est loin d'être idéale. Il vaut mieux privilégier les péages urbains et la mise en place de lignes dédiées aux bus.

La question de la gratuité doit donc être traitée au cas par cas. Dans certaines expérimentations, la gratuité des transports a constitué un élément déterminant de l'attractivité d'une ville et de la redynamisation de son centre. Dans d'autres cas, cela s'est traduit par une dégradation de la qualité de service, ou est vite devenu financièrement insoutenable pour les finances locales.

Et en ce qui concerne le transport interurbain, une telle approche n'est guère envisageable. La tarification y joue un rôle essentiel pour financer le réseau longue distance, répartir la demande dans la journée et discriminer entre clients selon leur disposition à payer - la clientèle affaire finançant ainsi les billets à bas prix du grand public.

Vouloir la gratuité est un mauvais réflexe politique oubliant un point crucial. Les prélèvements obligatoires pèsent sur l'emploi - un euro prélevé coûte 20 centimes à la collectivité sous forme de distorsions pénalisant l'activité économique. Financer plus efficacement la dépense publique suppose de tarifer les usagers en fonction de leur disposition à payer et des externalités négatives (pollution, congestion) qu'ils induisent.

L'essentiel aujourd'hui étant d'investir davantage dans les transports en commun.

Article paru dans Les Echos le 22 septembre. Copyright Les Echos.fr

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