Essoufflement de l’éolien en mer

17 Décembre 2025 Energie

Publié dans La Tribune le 27 Novembre.

 

Les investissements dans les parcs éoliens offshore pour produire de l’électricité sont-ils maintenant rentables ou est-il nécessaire de continuer à les subventionner ? Deux évènements récents laissent à penser que cette industrie n’est pas aussi proche de la « parité réseau » que ce que sa publicité veut nous faire croire : d’une part un appel d’offre danois resté infructueux et d’autre part l’abandon par Shell de ses projets au large de l’Ecosse. 

Absence de candidat à l’appel d’offre danois du 16 octobre 2025

Depuis le début du siècle, le Danemark a radicalement verdi sa production d’électricité. En 25 ans, le pays a fait passer l’énergie éolienne à plus de 58% de son bouquet électrique et la production photovoltaïque à près de 11%. Et le gouvernement danois ne veut pas s’en tenir là. En octobre 2025, il a lancé un appel d'offres pour un parc éolien de 1GW situé en mer du Nord à environ 95 kilomètres au large. Le nom du lauréat devait être annoncé au printemps 2026. Dans le projet initial, il était même prévu de mettre aux enchères deux lots de 2 GW, mais le gouvernement a réduit ses ambitions pour attirer un plus grand nombre de candidats. Espoir déçu, puisqu’aucun dossier de candidature n’a été déposé dans les délais fixés pour répondre à l’appel d’offre. La cause en est probablement la forte augmentation des coûts des installations à réaliser. Pour éviter que ce fiasco se reproduise, le gouvernement danois va subventionner l’éolien offshore à hauteur de 1milliard d’euros en 2026 avant de préparer un système de Contrat pour Différence applicable à partir de 2027.

Le changement de stratégie de Shell

La dérive des coûts explique le regain de prudence des investisseurs. Ainsi, de même que le suédois Vattenfal a suspendu son projet de Norfolk Boreas aux Royaume Uni (1,4 GW) en juillet 2023, en novembre 2025 Shell a annoncé qu’il abandonnait deux projets en Ecosse. Shell et Sottish Power (filiale d’Iberdrola) étaient associés dans les projets de MarramWind et CampionWind. Considérant la faible rentabilité escomptée de ces investissements, Shell a cédé sa participation de 50% dans le projet MarramWind à ScottishPower, devenant en contrepartie l'unique propriétaire de CampionWind, projet dont il a aussitôt annoncé l’abandon, préférant se recentrer sur les hydrocarbures.

La rentabilité de l’électricité d’origine éolienne

Le principal inconvénient financier des éoliennes est qu’elles ne sont pas pilotables. Tout comme les panneaux photovoltaïques, elles fournissent de l’électricité au gré de la météo et des saisons, rendant les revenus tirés de la vente très aléatoires. Il est possible que le vent souffle surtout la nuit, alors que la demande est faible. Le prix de marché qui en résulte est alors très bas, voire négatif. Et aux heures de pointe (sous nos latitudes l’hiver en fin de journée), le vent peut manquer à l’appel, privant ainsi les propriétaires d’éoliennes de revenus substantiels. Pour réduire ces risques, les investisseurs vont faire du lobbying pour obtenir des aides publiques ou, à défaut, signent des contrats avec de gros acheteurs. Mais c’est un transfert de risques pour lequel il n’est pas facile de trouver une partie intéressée. En effet, quand de gros consommateurs d’énergie cherchent à signer des contrats d’achat d’électricité, couramment appelés PPA (Power Purchase Agreement), c’est pour sécuriser leur approvisionnement. Il n’est donc pas surprenant que les aléas qui affectent la production d’électricité à partir du vent soient dissuasifs pour ces consommateurs. En l’absence de subvention, il y a donc de grandes chances que les investisseurs dans des fermes éoliennes soient obligés d’en passer par les marchés de gros pour écouler leur production, donc hors de la sécurité qu’apporte le PPA. Les Contrats pour Différence signés avec l’Etat permettent de réduire l’amplitude des risques affectant les revenus puisque l’entreprise encaisse le prix de marché plus une compensation si ce prix passe en dessous d’un seuil fixé à l’avance, ou moins un remboursement quand le prix de marché passe au-dessus d’un second seuil prédéfini. L’argent public sert donc d’assurance contre les aléas du marché. 

Et en France ?

Le projet de troisième Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE3) soumis à consultation en mars 2025 prévoit de faire passer les capacités installées d’éoliennes en mer de 0,84GW en 2023 à 18 GW en 2035. La production annuelle attendue passerait ainsi de 1,9TWh à environ 71TWh (ce qui, notons-le au passage, présuppose une nette amélioration du facteur de charge). Au vu des expériences danoise et écossaise évoquées précédemment, pour atteindre ces objectifs il faudra convaincre les investisseurs par de fortes subventions directes ou des mécanismes du type contrat pour différence, ce qui laisse augurer des hausses substantielles des prix de l’électricité.

Pour l’heure, la PPE3 n’a pas fait l’objet d’un décret d’application. Le ministre à qui incombera cette responsabilité se posera peut-être la question de l’utilité d’insérer ces moulins à vent dont le coût est exorbitant dans un bouquet électrique où la production bas carbone atteint déjà 95%.

 

Photo : insung yoon Unsplash