Entre "techno-optimistes" et "décroissantistes", un fossé béant

2 Juin 2022 Climat

La période électorale n'a pas permis de trouver un consensus sur le rythme et la magnitude des changements pour lutter contre le réchauffement.

Encore une fois en cette période électorale, nous espérions que s'établisse un débat national sur nos choix climatiques. Car si nous avons la chance de vivre dans un pays où la vérité scientifique sur l'origine humaine du changement climatique ne fait plus débat, il n'en reste pas moins vrai que nous continuons à nous étriper sur les actions qui devraient être mises en oeuvre, au niveau des consommateurs, des producteurs et des institutions publiques ou financières, pour affronter nos responsabilités envers la nature et les générations futures. Qui devrait faire quoi, quand et comment? Qui doit payer? La fureur qui monte est à la hauteur de notre refus individuel de faire des sacrifices, alors même que nous savons que cette transition énergétique va nous coûter plus de 50 milliards d'euros par an en France au bas mot.
Un océan sépare les « techno-optimistes » des « décroissantistes ». Pour ces derniers, qui prônent une réduction conséquente de notre pouvoir d'achat et un retour à la nature - comme on l'a vu récemment à la remise des diplômes d'Agro-ParisTech -, l'idée même de tenter de poursuivre notre croissance tout en comptant sur des innovations technologiques vertes pour organiser une transition heureuse devient insupportable. Le politique, dans sa mission la plus noble, aurait dû conduire le débat pour tenter de trouver un consensus entre ces deux camps adverses. La séquence gilets jaunes-grand débat-Convention citoyenne pour le climat aurait pu être ce moment cathartique. Il n'en fut rien. La séquence électorale actuelle est aussi en train d'échouer magistralement pour dégager un consensus national. La faute à l'émergence d'un concept magique, la « planification écologique ». LREM et la Nupes vont faire de la planification écologique, tout est dit! Dormez tranquille, l'Etat va s'occuper de trouver la solution.
Cette utopie d'une transition écologique heureuse coordonnée par le petit père du peuple ne semble pas nécessiter d'explication pour les électeurs, et surtout parmi les écologistes qui se sont convertis à la planification écologique mélenchonnienne. Cette dernière affiche pourtant une ambition démesurée, en visant une réduction de 65 % (au lieu de 40 %) des émissions d'ici à 2030. A ce jour, le mystère reste complet, tant sur le financement que sur la méthode. Plus fort encore, la Nupes veut inscrire la règle verte dans la Constitution, qui impose que nous ne prenions pas plus à la nature que ce qu'elle peut reconstituer. Cela devrait par exemple nous obliger à passer à « zéro émission nette » sur le CO2 dès aujourd'hui. Sa mise en oeuvre imposerait des sacrifices abyssaux aux Français.
Quelqu'un à la Nupes a-t-il fait une estimation des conséquences de l'arrêt de l'exploitation des mines de fer, de cuivre ou de silicium? D'autant plus que cette règle n'aurait de sens que si elle était appliquée au niveau de la planète entière. Soyons plus clairs : cette règle verte imposerait une dictature écologique en France.
Elle a, certes, l'avantage de poser les termes d'un débat crucial pour notre avenir commun et si possible durable. La surexploitation de certaines ressources naturelles reste un défi de soutenabilité majeur pour notre civilisation. Mais cette règle verte est inefficace en ceci qu'elle ignore les possibilités de substitution et d'adaptation, le progrès qui nous permettrait de nous en passer à l'avenir.
Les politiques qui utilisent ces mots magiques pour enterrer le débat n'aident pas à la mobilisation générale indispensable pour gagner la guerre mondiale pour le climat. Si l'ennemi est clairement identifié nos émissions de gaz à effet de serre), le plan de bataille est inexistant, et les experts en stratégie climatique sont ignorés. Pour preuve, depuis trente ans que cette guerre a été déclarée, nos troupes se sont enlisées dans une course de lenteur! La radicalité des changements de mode de vie et de production à venir d'ici à la fin du deuxième mandat d'Emmanuel Macron appelle à plus de clarté dans la marche à suivre. A part sur le nucléaire, où le choix de planification a été tranché au sommet de l'Etat, la feuille est blanche. De ce point de vue, on souhaite bonne chance à notre nouvelle ministre de la Transition écologique, Amélie de Montchalin, ainsi qu'à Agnès Pannier-Runacher, son binôme pour la Transition énergétique. Echouer n'est plus une option.

Article paru dans L'Express, n°3700, le jeudi 2 juin 2022.