Que peut-on espérer de la compensation centralisée ?

18 Septembre 2014 Finance

Les dérivés financiers permettent de s’assurer contre les risques. Lorsqu’une banque détient des obligations, elle peut couvrir leur risque de défaut en achetant des credit default swaps (CDS). Le vendeur du CDS (« vendeur de protection ») s’engage à payer un certain montant à la banque (« acheteur de protection ») si l’émetteur de l’obligation fait faillite. Cette transaction permet à la banque de s’assurer contre le défaut de l’émetteur… si le vendeur de protection verse bien le montant qu’il a promis. Mais si le vendeur de protection est lui-même en faillite, l’acheteur de protection risque de ne rien recevoir. Ce risque est appelé « risque de contrepartie » car le vendeur de protection est la contrepartie de l’acheteur de protection.

La crise financière de 2007-2009 a mis en exergue le risque de contrepartie et montré qu’il pouvait conduire à des faillites en cascade : si l’émetteur de l’obligation ainsi que le vendeur de protection font faillite, l’acheteur de protection risque de faire faillite à son tour. Or les chambres de compensation centralisées (CCP) offrent une assurance contre le risque de contrepartie : l’acheteur et le vendeur de protection s’entendent sur une transaction, puis ils se tournent vers la chambre de compensation, et le contrat bilatéral entre les deux contreparties est transformé en deux contrats : l’un entre le vendeur de protection et la chambre de compensation, l’autre entre l’acheteur de protection et la chambre de compensation. Si une des deux contreparties fait faillite, la chambre de compensation s’engage à verser à l’autre contrepartie ce qui lui était dû.

Cependant, dans les marchés de gré à gré, la très grande majorité des transactions échappe aux CCP. Pour accroître la stabilité du système financier, les pouvoirs publics ont rendu la compensation centralisée obligatoire pour de nombreux produits dérivés. Ces règles ont été édictées aux Etats-Unis par le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, et en Europe par la directive EMIR (European Market Infrastructure Regulation). Peut-on espérer qu’elles rendent le système financier plus stable ? Plusieurs obstacles peuvent s’y opposer.

D’une part, la transition vers la compensation centralisée est très lente. Banquiers et régulateurs annonçaient que la majorité des CDS allait faire l’objet d’une compensation centralisée vers la fin de l’année 2012. En septembre 2014, force est de constater que seule une petite minorité des contrats négociés sur les marchés de gré à gré fait l’objet d’une compensation centralisée.

D’autre part, même quand elle aura lieu, la compensation centralisée n’est pas une solution miracle. Pour réfléchir à ces questions, il est utile de filer l’analogie avec une compagnie d’assurances, puisque, après tout, un des rôles majeurs des CCP est d’assurer leurs membres contre le risque de contrepartie.

Supposons d’abord que les intervenants ne changent pas de comportement lorsque la compensation est centralisée. Les risques ne sont pas annulés, ils sont simplement concentrés. Dans la mesure où ils sont indépendants les uns des autres, la CCP permet de mutualiser ces risques. Mais il est probable que ces risques ne sont pas toujours indépendants : en cas de crise financière, de nombreux intervenants risquent de faire défaut au même moment. Pour assurer de tels risques, les CCP doivent disposer de fonds de garantie, de capital… et de soutien de la banque centrale.

Mais la présence même de l’assurance peut accroître la prise de risque. C’est le problème classique de l’aléa moral, identifié depuis bien longtemps par les économistes de l’assurance. Pour éviter ce problème, il faut veiller à préserver les incitations des contreparties. Dans un article de recherche récent, avec mes coauteurs Florian Heider et Marie Hoerova*, nous avons montré sous quelles conditions appels de marges et limites sur les positions permettent de lutter contre l’aléa moral.

Il est important de prendre en compte la dimension incitative des CCP, sous peine d’en faire des causes de fragilité plutôt que des facteurs de stabilité.

Les dérivés financiers permettent de s’assurer contre les risques. Lorsqu’une banque détient des obligations, elle peut couvrir leur risque de défaut en achetant des credit default swaps (CDS). Le vendeur du CDS (« vendeur de protection ») s’engage à payer un certain montant à la banque (« acheteur de protection ») si l’émetteur de l’obligation fait faillite. Cette transaction permet à la banque de s’assurer contre le défaut de l’émetteur… si le vendeur de protection verse bien le montant qu’il a promis. Mais si le vendeur de protection est lui-même en faillite, l’acheteur de protection risque de ne rien recevoir. Ce risque est appelé « risque de contrepartie » car le vendeur de protection est la contrepartie de l’acheteur de protection.

Article orginial sur Agefi.fr