Pour des banques paneuropéennes

26 Mai 2016 Finance
L’Union bancaire crée des banques de plus en plus nationales et des règles contre les grandes banques. On devrait au contraire promouvoir des banques transfrontalières.
L'anthropologue Claude Lévi-Strauss, dans son opus magnum « Les Structures élémentaires de la parenté » (1949), a montré que l'on passe de la nature à la culture quand les groupes familiaux prohibent l'inceste et échangent les femmes entre eux. L'humanité prohibe l'inceste depuis longtemps, mais l'Europe est toujours en plein inceste bancaire, renforcé récemment de surcroît. Prohibons l'inceste bancaire et promouvons l'exogamie entre banques !
 
Aux Etats-Unis, les chocs économiques asymétriques sont d'abord absorbés par une dizaine de banques couvrant l'ensemble du pays. Quand le Nevada est sinistré avec des séries de faillites, ces pertes sont absorbées par les banques via des profits à Boston ou Chicago.
L'euro devrait fonctionner ainsi, avec de grandes banques paneuropéennes qui iraient de la Finlande au Portugal, de Dublin à Athènes, capables d'absorber les chocs asymétriques. Si en Irlande, en Espagne ou en Grèce, la quasi-totalité du marché bancaire avait été détenue par de grandes banques paneuropéennes, les chocs asymétriques dans ces pays auraient été absorbés beaucoup plus vite et mieux.
 
Cet argument est encore plus fort en Europe qu'aux Etats-Unis, car le secteur bancaire y est beaucoup plus important et car les transferts budgétaires entre Etats ne sont pas populaires en Europe. La logique d'un euro durable veut que l'Europe se dote d'une petite dizaine de très grandes banques paneuro­péennes.
 

Deux erreurs majeures

 
Or, dans la réalité, l'Union bancaire européenne fait le contraire en créant des banques de plus en plus nationales et des règles contre les grandes banques. En Grèce, avant la crise, 25 % du système bancaire étaient détenus par des banques étrangères ; aujourd'hui, c'est 0 % - idem ailleurs. Aucune grande banque paneuropéenne n'existe. Les autorités européennes ont fait deux erreurs majeures.
 
La première tient aux fusions bancaires. Quand il s'agit de racheter une banque d'un pays A, celle-ci sera mieux valorisée par une autre banque du pays A que par une banque étrangère, pour des raisons de proximité culturelle et réglementaire, sans parler du protectionnisme national ! D'où fusions endogamiques, incestes bancaires.
Ce fut le cas en Espagne, en Grèce, au Portugal et maintenant en Italie. C'est létal pour la prochaine crise bancaire européenne. Que faire ? La solution est ­simple : les règles générales de la ­concurrence de l'UE et les mesures ­prudentielles propres au secteur ­bancaire devraient privilégier les fusions bancaires transfrontalières et pénaliser les fusions nationales.
 
Deuxième erreur européenne : empêcher la constitution de grandes banques. Car sans elles, pas de banques paneuropéennes. La réglementation bancaire actuelle défavorise explicitement les grandes banques, au nom du « Too big too fail », alors que la quasi-totalité des banques en crise étaient de petites banques commerciales, souvent locales.
 

Civilisation bancaire

Aujourd'hui, les règles de Bâle III imposent aux banques des capitaux propres durs de 10,5 % de leurs actifs pondérés du risque. Pour les grandes banques ce ratio augmente de 2 à 3 points. Avec ces règles, le coût marginal de nouvelles acquisitions bancaires est prohibitif pour les grandes banques, car, si elles dépassent une certaine taille, la surcharge en capital s'impose à tout l'actif de la banque et non à la seule nouvelle acquisition.
 
Ainsi il n'y a aucune chance de voir éclore de grandes banques paneuropéennes. La solution est pourtant simple : arrêter de discriminer contre les grandes banques et les réguler d'une autre manière (politique de la concurrence, forcer les banques à ne distribuer leurs dividendes qu'après N années...). Il est temps pour les régulateurs européens de sortir de la nature et de l'inceste et de construire une civilisation bancaire européenne en favorisant la naissance de grandes banques paneuropéennes concurrentielles.