Les taux bas, un facteur d'instabilité financière

30 Avril 2015 Finance

Le niveau actuellement très bas des taux d’intérêt pourrait sembler indiquer un retour à la confiance. Cependant, une analyse détaillée des causes et des conséquences de ce phénomène devrait nous mettre en garde. Le niveau très bas des taux d’intérêt est peut-être au contraire un facteur d’instabilité financière.

Pourquoi les taux d’intérêt sont-ils si bas ?

Le taux d’intérêt d’équilibre correspond au prix tel que l’offre est égale à la demande sur le marché de l’épargne. Le taux d’intérêt est faible si la demande d’épargne, c’est-à-dire la demande d’actifs financiers, est forte. Or c’est le cas actuellement.

D’une part, de nombreux acteurs privés désirent épargner. Les fonds souverains pour transformer les revenus actuels (par exemple provenant de la vente d’hydrocarbures) en revenus futurs. Les fonds de pension ou d’investissement parce que les citoyens doivent s’adapter à un monde où les systèmes de retraite par répartition deviennent de plus en plus difficilement tenables. D’autre part, en menant une politique monétaire non conventionnelle, les banques centrales elles aussi demandent des actifs financiers.

Quelles conséquences ?

De fait, on ne peut vraiment plus parler du taux d’intérêt. Il existe désormais toute une variété de taux, correspondant à plusieurs classes d’actifs, de risques et maturités. Les actifs aujourd’hui estimés les plus sûrs, comme la dette des gouvernements allemand ou suisse, affichent les taux d’intérêt les plus bas… en fait des taux négatifs. De tels taux incitent les agents économiques à réallouer leurs investissements depuis ces actifs peu risqués vers d’autres actifs, plus risqués : obligations d’entreprise, immobilier, actions (on baptise parfois ce phénomène « search for yield »). Ces réallocations de portefeuilles, à leur tour, font monter le prix des actifs plus risqués.

A ce comportement des investisseurs (ceux qui achètent les titres financiers) correspond un comportement symétrique des émetteurs (qui vendent les titres financiers). Puisque les taux sont bas, il est attractif d’emprunter ou, de manière équivalente, puisque les prix des actifs sont élevés, il est attractif d’en vendre, c’est-à-dire d’en émettre. C’est pourquoi, comme l’a récemment démontré un rapport de McKinsey, le taux d’endettement des Etats et des acteurs privés reste aujourd’hui élevé, supérieur à son niveau d’avant la crise de 2007.

Quels risques pour la stabilité financière ?

Si les marchés financiers étaient parfaits, les prix des actifs toujours égaux à leur valeur fondamentale, et les problèmes d’aléa moral inexistants, on n’aurait pas trop lieu de s’inquiéter de la situation actuelle. Hélas, ce n’est pas le cas.

Les prix des actifs ne sont pas toujours égaux à leur valeur fondamentale. Il est possible que des bulles se forment, là où les investisseurs sont prêts à payer un prix « trop élevé » car ils anticipent de pouvoir revendre à un prix encore plus haut. Or il est difficile d’être sûr qu’il n’y a pas de bulle actuellement, par exemple dans certains secteurs du marché de l’immobilier, ou de celui des titres financiers risqués.

Par ailleurs, il est possible que certaines décisions financières soient viciées par des problèmes d’aléa moral. Exploitant les clauses de responsabilité limitée, ou pariant sur le « too big to fail », certains acteurs du marché, très endettés, pourraient prendre des risques excessifs. En cas d’éclatement d’une bulle, ces acteurs pourraient faire faillite. Malgré les nouvelles exigences prudentielles et le développement de la compensation centralisée, le défaut de ces acteurs pourrait avoir des effets de contagion sur le reste du système financier.

Que devrait faire la banque centrale ?

Dans ce contexte, il n’est pas évident que la politique non conventionnelle actuelle de la Banque centrale européenne soit optimale. Il est possible qu’elle contribue à des phénomènes de bulles sur certains actifs, et d’endettement excessif de certains acteurs, conduisant à une prise de risque trop élevée. C’est pourquoi une politique monétaire non conventionnelle n’est acceptable que si elle s’accompagne d’une surveillance accrue de la stabilité financière.

Article disponible sur Agefi.fr