Les risques de l'assurance fantôme

9 Avril 2014 Finance

Qu’est-ce que l’assurance fantôme ? L’assurance passe traditionnellement pour un métier peu risqué. La compagnie vend des polices d’assurance à ses clients. Elle investit les primes dans des actifs peu risqués. Le revenu de ces actifs lui permet de payer les assurés qui subissent des sinistres, dont le risque est mutualisé.

Les années 2000 ont vu le développement de deux « pratiques innovantes », analysées dans un article récent de Ralph S.J. Koijen (London Business School, LBS, National Bureau of Economic Research, NBER) et Motohiro Yogo (Fed de Minneapolis), intitulé « Shadow Insurance » (janvier 2014, 44 pages).

Les compagnies d’assurance, en particulier aux Etats-Unis, se sont lancées dans la vente de produits d’investissement à revenu garanti. Si les rentabilités qu’elles obtiennent sur leurs actifs sont inférieures à ce revenu garanti, les compagnies d’assurance subissent des pertes. Il s’agit là d’un type d’activité, et de risque, très différents de ceux de l’assurance traditionnelle. En particulier, le risque couru par la compagnie d’assurance n’est plus mutualisable, mais systématique. Le régulateur américain a exigé que les compagnies d’assurance détiennent des réserves, pour augmenter leur capacité à payer leurs clients. Pour éviter cette régulation, les compagnies d’assurance ont revendu leurs contrats à des réassureurs.

C’est là que la seconde innovation intervient. Au lieu de revendre les contrats à des réassureurs indépendants, les compagnies d’assurance les ont vendus à des réassureurs qui étaient en fait leurs filiales. Dans de nombreux Etats américains, ces filiales ne sont pas assujetties à la contrainte de réserves réglementaires. Elles n’auraient pas les moyens de faire face à des pertes importantes. Or, elles sont financées par des « lettres de crédit », des crédits accordés par des banques, pour lesquelles les compagnies d’assurance initiales se sont portées caution. Ainsi, les compagnies d’assurance sont autant exposées au risque que si elles l’avaient gardé en portefeuille, mais elles ne sont plus soumises aux contraintes de réserves règlementaires.

Ces pratiques font courir des risques importants aux clients et aux actionnaires des compagnies d’assurance, aux marchés sur lesquels elles interviennent, et aux banques qui les financent. Les montants en jeu sont élevés, et on ne peut écarter l’hypothèse que l’assurance fantôme contribue à une nouvelle crise.

Le cas de l'Europe

Koijen et Yogo se sont ensuite interrogés sur le cas de l’Europe. L’assurance fantôme est-elle une spécialité américaine, dont l’Europe n’aurait rien à craindre ? C’est ce qu’ont d’abord répondu les régulateurs à qui Koijen et Yogo ont posé la question. Après un examen plus attentif, les régulateurs contactés se sont rendu compte que la réponse n’était pas si claire. Les assureurs-vie, en particulier en Allemagne et en Italie, ont vendu beaucoup de produits d’investissement à revenu garanti. Ce passif des compagnies d’assurance est sans doute significatif, mais il est difficile à estimer, en l’absence d’évaluation de marché. Par ailleurs, le marché de la réassurance est sans doute important, mais ni les investisseurs ni les régulateurs ne disposent de l’information nécessaire pour évaluer précisément son poids. La directive européenne sur la réassurance (de 2005) permet aux réassureurs d’être domiciliés dans tout pays de l’Union européenne. Beaucoup ont choisis l’Irlande ou le Luxembourg, pour éviter les contraintes réglementaires (et les taxes.) Cette portion du marché est fortement opaque et très peu régulée. Nous sommes peut-être assis sur une bombe, ou peut-être pas. Difficile de le savoir.

Mieux vaudrait éviter les fantômes. Il semble illogique, et potentiellement déséquilibrant, de réguler certains segments de l’industrie de l’assurance et pas d’autres. Il est surprenant, après la crise financière que nous avons vécue, et dont nous sentons encore les conséquences, que des pans entiers de ces secteurs soient fortement opaques. Il semble raisonnable d’instaurer une plus grande transparence, qui s’applique à tous les segments du marché de l’assurance et de la réassurance, et à tous les pays de l’Union européenne.

Article original sur agefi.fr

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