Ce que nous mangeons doit-il nous être dicté ?

12 Octobre 2017 Alimentation

Vincent Réquillart est un chercheur de TSE et de l’INRA, le plus grand institut de recherche agronomique d’Europe. Son travail relatif à l’impact des recommandations diététiques et nutritionnelles suggère que les campagnes d’information destinées au grand public doivent être renforcées. Son équipe est la première à analyser leur impact sur l’alimentation globale des consommateurs.

De nombreux pays utilisent les campagnes d’information pour encourager les consommateurs à adopter une meilleure alimentation, à manger moins gras, moins salé, moins sucré et à favoriser les fruits et les légumes. Des études ont démontré que, dans les pays développés, les aliments peuvent représenter entre 15 et 30 % des émissions de gaz à effet de serre, poussant de nombreux experts à recommander une alimentation favorisant le développement durable, et notamment un régime alimentaire plus pauvre en viandes rouges.

Changer d’alimentation n’est jamais facile

Les campagnes d’information destinées à sensibiliser le public sur les questions de santé liées à l’alimentation ont généralement des effets positifs sur la consommation, mais leur portée reste relativement modeste. Des campagnes telles que « 5 fruits et légumes par jour » peuvent contribuer à accroître de 5 à 8 % la consommation moyenne de fruits et de légumes. L’impact modéré de ces campagnes n’a rien de surprenant : de nombreuses études ont montré à quel point il est « coûteux » pour les consommateurs de changer leurs habitudes alimentaires. Suivre une recommandation peut avoir des effets bénéfiques sur la santé à long terme, mais apparaît souvent comme une perte de « bien-être » à court terme si les nouveaux aliments sont jugés moins savoureux ou nécessitent une plus longue préparation.

Les impacts sur le régime alimentaire

En utilisant un modèle de comportement des consommateurs, l’équipe de Vincent Réquillart est parvenue à simuler la manière dont une recommandation influe sur le régime alimentaire dans sa globalité. Pour évaluer l’impact sur la santé, ils ont utilisé un modèle épidémiologique afin de quantifier les effets d’une évolution des habitudes alimentaires sur le taux de mortalité associé à plusieurs maladies chroniques. L’impact sur l’environnement est quant à lui évalué en utilisant des facteurs d’émission pour les principaux aliments consommés en France. Enfin, une analyse du rendement utilise des équivalents monétaires pour comparer les variations du bien-être des consommateurs aux impacts sur la santé et l’environnement.

Vincent Réquillart et ses collègues supposent qu’à la suite d’une campagne d’information, l’adoption des recommandations par les consommateurs augmente de 5 %. Ils prennent en compte cinq recommandations différentes destinées à améliorer la santé du public :

  • Manger plus de fruits et de légumes
  • Boire moins de sodas
  • Manger plus de poisson et de fruits de mer
  • Manger plus de produis laitiers frais
  • Manger moins de fromage, de beurre et de crème

Deux autres recommandations s’appuient sur des considérations environnementales :

  • Manger moins de viande (car les animaux rejettent plus de gaz à effet de serre que les plantes)
  • Manger moins de viande rouge (car les ruminants rejettent plus de gaz à effet de serre que les autres animaux)

Les résultats démontrent que le fait de suivre une recommandation influe sur l’alimentation dans sa globalité. Par exemple, augmenter de 5 % sa consommation de fruits et de légumes entraîne une réduction de la consommation de viande rouge, compensée en partie par une augmentation de la consommation d’autres viandes, et une réduction de la consommation de produits laitiers. Il est intéressant de noter que l’adoption de cette recommandation se fait par un accroissement de la consommation de fruits et légumes transformés (plutôt que frais). Manger moins de fromage, de beurre et de crème entraîne un accroissement de la consommation de viande.

Santé vs environnement

L’impact des recommandations sur la santé et les émissions de gaz à effet de serre varie de manière considérable. Toutes ces recommandations ont des effets positifs sur la santé, notamment celle concernant les fruits et les légumes. En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, c’est l’augmentation de la consommation de fruits et de légumes, et dans une moindre mesure, la diminution de la consommation de viande, qui produit le plus d’impact.

Les effets de la plupart des recommandations sur la santé et l’environnement sont compatibles. En revanche, pour ce qui est du fromage, du beurre et de la crème, une diminution de la consommation a des effets positifs sur la santé, mais un effet négatif sur les émissions de gaz à effet de serre, une tendance qui s’explique largement par le fait que réduire la consommation de ces aliments entraîne une augmentation de la consommation de viande.

Si l’on exclut les recommandations concernant la viande, les effets sur la santé équivalent à environ 10 fois l’impact environnemental en termes de valeur monétaire.

Futures recherches

Ces résultats doivent être pris avec des pincettes, tempère Vincent Réquillart. L’impact sur l’environnement est mesuré uniquement en termes d’émissions de gaz à effet de serre et l’analyse ne tient pas compte d’autres impacts potentiels, comme l’eutrophisation, l’acidification ou l’utilisation du sol. Les impacts très variés que peuvent avoir les produits de chaque groupe alimentaire sur la santé et l’environnement, liés par exemple aux méthodes de production, doivent également être pris en compte.

La nouvelle approche de Vincent Réquillart sera complétée par d’autres travaux visant à évaluer de manière plus précise l’impact des changements de régime alimentaire.