Coopérer comme les fourmis ou les oiseaux

2 Octobre 2017 Economie comportementale

Les réseaux sociaux nous noient sous les informations. Mais pas facile de repérer les plus pertinentes. Une équipe toulousaine s’inspire des échanges d’informations dans le monde animal pour développer de nouvelles formes d’intelligence collective. Explications du mathématicien Adrien Blanchet.

D’où est venue votre volonté de travailler en vous inspirant des échanges d’informations entre les animaux ?

Adrien Blanchet : J’avais fait des mathématiques appliquées en biologie, et travaillé sur un modèle de chimiotactisme élaboré par Clément Sire, le directeur du laboratoire de physique théorique à l’Université Paul Sabatier : des amibes, êtres vivants unicellulaires, s’agrègent ou non lorsqu’elles sont attirées par un signal chimique. Par ailleurs, je collaborais avec Pierre Degond à l’Institut de Mathématiques de Toulouse sur des équations cinétiques pour modéliser des nuées d’oiseaux. Pierre m'a présenté l’éthologue Guy Théraulaz, spécialiste des sociétés animales. Il s’inspire de sa méthode de modélisation des insectes pour modéliser les comportements humains. Mon collègue économiste Paul Seabright, directeur de l'Institut of Advanced Studies in Toulouse s'est joint à l'équipe, pour répondre à un appel d’offres ERC Synergy. Nous n’avons pas été retenus, mais nous avons obtenu un financement IDEX, qui nous a permis de réaliser des expériences pendant deux ans.

Vous avez un intérêt commun pour les « propriétés émergentes ». De quoi s’agit-il ?

Il s’agit des propriétés d’auto-organisation d’une population. Elles existent chez les fourmis, qui fabriquent des nids fascinants avec des chambres et des étages, et organisent même la ventilation passive et la régulation de l’humidité de leur jardin à champignons. Une reine n’a pas les capacités cognitives pour orchestrer tout cela. Guy Théraulaz et ses collègues ont montré que cette structure macroscopique très élaborée résultait de règles individuelles simples, chaque fourmi se déplaçant là où elle sent des phéromones. De même, les oiseaux peuvent, en se situant ni trop près ni trop loin les uns des autres et en alignant leurs vitesses respectives, produire les nuées captivantes que l'on voit au dessus de la Garonne les soirs de printemps.

Quelles expériences avez-vous menées ?

Malheureusement, l’émergence de cette intelligence collective nécessite la présence d’un observateur extérieur. Nous avons tenté l’expérience sur diverses tâches d'estimation. Après avoir récolté une première série de réponses, on interrogeait à nouveau les joueurs, en leur donnant une estimation basée sur la moyenne des trois réponses précédente. Après avoir récolté une première série de réponses, on interrogeait à nouveau les joueurs, en leur donnant une estimation basée sur la moyenne des quatre réponses précédentes. Leurs résultats approchaient alors la bonne réponse. Malheureusement, l’émergence de cette intelligence collective nécessite la présence d’un observateur extérieur. 

Vous avez mené une deuxième série d’expériences. 

Après avoir exploré le processus de décision précédent, qui ne relève pas de la stratégie, nous avons analysé la recherche collective d’un optimum, en demandant aux joueurs de découvrir les valeurs des cases d’un tableau, chaque case correspondant à un montant, que le joueur remportait. Le joueur peut exploiter les informations qu’il possède, en rejouant les mêmes cases, ou explorer d’autres cases. Chaque case visitée laisse une trace, ce qui permet à chacun d’obtenir un gain supérieur, en utilisant les informations du groupe. Nous avons refait la même expérience, sauf que cette fois-ci, les joueurs pouvaient choisir entre laisser ou non une trace de leur passage. Ils ont préféré ne pas laisser de trace sur les bonnes cases, pour se réserver le gain. Ceci est parfaitement rationnel, car ils sont formés à croire que les gens se comportent de façon égoïste, ce qui est le cas. Mais nous ne nous attendions pas à ce que le jeu soit pris comme une compétition, où il faut battre les autres en leur tendant des pièges. 

Comment trouver les bonnes règles pour développer l’intelligence collective ?

Avec les communautés et les réseaux sociaux, on peut connaître l’opinion d’un grand nombre de personnes. Il serait intéressant de trouver comment favoriser des règles d’interaction entre les individus, pour qu’ils parviennent à prendre des décisions collectives efficaces. Cela permettrait par exemple d'éviter un mouvement de foules meurtrier ou d'empêcher un réchauffement climatique préjudiciable à la vie humaine.

Quelle est la différence entre votre approche et celle d’un physicien ou d’un biologiste ?

Pour Guy Théraulaz et Clément Sire, les humains interagissent souvent comme des particules. Je crois, avec les économistes, qu'il y a des situations dans lesquelles nos comportements découlent de prises de décision stratégiques. Mais il est vrai que, dans certaines situations complexes comme sur un marché financier, il semble possible de modéliser les comportements humains sans faire appel à la théorie des jeux. En utilisant cette approche, c’est-à-dire en considérant les traders comme des particules inertes, incapables de prendre des décisions stratégiques, J.-P. Bouchaud gère le plus gros hedge-fund français. Est-ce que les humains peuvent être modélisés ainsi comme des particules inertes ou faut-il utiliser des outils de prise de décision ? Agissons-nous par réflexe ou par stratégie ? Ces questions sont au coeur de nos discussions.

Pourrait-il y avoir des applications issues de ces expériences ?

Avec l’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT) et le Laboratoire d’Analyse et d’Architecture des Systèmes (LAAS), nous réfléchissons à une application qui réunirait des conseils de lieux à visiter, à partir de contributions collectives, sur le modèle d’OpenStreetMap. Sur les sites d'évaluation, de restaurants par exemple, il est très difficile d’empêcher les tricheurs d’induire les autres en erreur. Notre recherche explore les manières possibles de ne pas perturber l’intelligence collective. Nous pourrions à moyen terme développer ce genre d'application sur smartphone.

 

Article publié dans Comprendre pour entreprendre, newsletter en ligne de l'université Toulouse Capitole. © UT Capitole.