Quand Facebook s’éteint, le bien-être augmente

6 Mai 2020 Economie comportementale

En étant confinés ces dernières semaines, nous avons tous été soumis à une manipulation expérimentale à très grande échelle. Vous prenez des êtres humains et vous leur imposez le stress économique, la peur de la maladie, la présence vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept de leur famille, la proximité en permanence du frigo, une avalanche de vidéos, de chats sur WhatsApp, et aucune obligation d’éteindre Facebook – et ça donne quoi ?

Même si nous savions comparer l’avant et l’après, la causalité resterait opaque : non seulement tous les traitements sont simultanés, mais il n’y a pas de « groupe de contrôle » – c’est-à-dire de sujets qui n’ont pas subi ce traitement.

Il y a pourtant des questions importantes, en dehors des questions sanitaires, auxquelles cette « expérimentation » pourrait répondre. Peut-on avoir des échanges économiques productifs sans se déplacer autant qu’avant ? Les réunions en « présentiel » sont-elles toutes nécessaires si on a Skype ou Zoom ? Les réseaux sociaux sont-ils addictifs, et cette addiction peut-elle nuire à notre équilibre mental ?

Heureusement, certains chercheurs ont pensé à mettre en œuvre des expériences plus ciblées qui nous éclairent sur ces questions – par exemple sur les effets d’un sevrage de Facebook sur le comportement et le bien-être d’un échantillon d’utilisateurs américains, juste avant les élections de mi-mandat de 2018 (« The Welfare Effects of Social Media », Hunt Allcott, Luca Braghieri, Sarah Eichmeyer et Matthew Gentzkow, American Economic Review n° 110/3, 2020).

Quatre types d’impacts

Les auteurs ont recruté un échantillon de 1 661 utilisateurs américains qui s’étaient déclarés prêts à éteindre Facebook pendant une période de quatre semaines contre un paiement de 102 dollars (94 euros). La moitié ont reçu une demande de désactivation, avec vérification automatique du lien à leur page, l’autre moitié ont continué comme avant.

Les chercheurs ont enquêté sur quatre types d’impacts : les autres activités qui ont rempli le temps occupé auparavant par Facebook, le suivi des informations politiques, le sentiment de bien-être à la fin de l’expérience, et l’impact sur l’utilisation de Facebook dans les semaines suivantes.

Premier constat : quand Facebook s’éteint, les gens passent davantage de temps avec leurs proches, et non pas à d’autres activités en ligne.

Deuxième constat, les gens s’intéressent moins à la politique.

Troisième constat, ils disent que leur bien-être a augmenté. Et même plusieurs semaines après, ils utilisent beaucoup moins Facebook et semblent contents de cet état des choses. Cela semble conforter l’hypothèse que Facebook a des propriétés addictives – on s’en sert volontairement, même si in fine ça ne nous rend pas forcément plus heureux.

Des leçons pertinentes

Les leçons pour notre période de confinement sont pertinentes. Est-il utile pour tous ces cadres supérieurs et ces hauts fonctionnaires de prendre l’avion pour se rendre à une réunion « essentielle » en province, à Paris ou à l’étranger ? Ne serait-il pas mieux, pour leur équilibre mental comme pour leur empreinte de carbone, de rester chez eux ?

Imaginez, par exemple, une expérience menée par des chercheurs avec la collaboration de contrôleurs aériens. Ceux-ci annuleraient de manière totalement aléatoire un certain nombre de vols, empêchant ainsi hommes et femmes d’affaires et hauts fonctionnaires d’assister à leurs réunions, quitte à substituer une présence téléphonique ou télévisuelle à leur présence réelle.

Les chercheurs noteraient l’impact sur les émissions de carbone, la productivité des entreprises, le bien-être des cadres. On verrait si finalement toutes ces réunions auraient été aussi importantes et productives que cela…

Mais non, le scénario est totalement improbable ; les contrôleurs aériens n’accepteraient jamais. Certaines hypothèses resteront en permanence inaccessibles à la science expérimentale…

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