Trump contre Big Pharma, un jeu dangereux

26 Septembre 2025 Economics

La décision de Donald Trump de demander aux grandes entreprises pharmaceutiques de baisser le prix de leurs médicaments pourrait avoir des conséquences globales, notamment sur l'innovation médicale, explique Frédéric Cherbonnier.

Donald Trump a lancé début août un ultimatum aux grandes entreprises pharmaceutiques américaines, les enjoignant de baisser le prix de leurs médicaments en s'alignant sur les prix les plus bas pratiqués dans d'autres pays développés. Il s'agit d'une version extrême d'un mode de régulation du prix du médicament dit "référencement externe". Il consiste à plafonner le prix d'un médicament en fonction de ce qui est fait ailleurs. La plupart des pays européens utilisent une telle méthode en considérant soit le prix moyen soit le prix le plus bas pratiqué par un nombre limité d'autres pays européens. Cela peut être inscrit dans la loi comme au Portugal ou en Espagne, ou faire partie comme en France d'une convention négociée entre le régulateur et les entreprises pharmaceutiques.

Cette annonce inquiète car les Américains sont les premiers financeurs de l'innovation médicale. Dépensant en moyenne deux fois plus par personne que les Européens, ils totalisent à eux seuls plus de 40 % de dépenses de médicament à travers le monde et près des deux tiers des dépenses en faveur des nouveaux médicaments. La recherche médicale, en s'attaquant à des maladies de plus en plus complexes, a vu ses coûts augmenter au fil du temps. Le coût moyen d'un nouveau médicament serait aujourd'hui de plus de 2 milliards de dollars en tenant compte des dépenses liées aux essais cliniques ainsi que du risque d'échec. Or les prix des médicaments sont en moyenne trois fois plus élevés aux Etats-Unis que dans le reste de l'OCDE, ce ratio passant à six quand on considère les nouveaux médicaments. Si cet écart venait à disparaître, on pourrait craindre que la recherche médicale ne trouve plus les financements nécessaires.

Mais la démarche engagée par le président américain pourrait ne pas avoir les effets escomptés, soit une forte baisse du prix du médicament dans son pays. Dans un travail en cours, l'économiste Pierre Dubois et ses collègues montrent qu'une règle d'alignement sur le prix pratiqué au Canada pourrait n'induire qu'une faible baisse du prix pratiqué aux Etats-Unis de l'ordre de 7,5 %. En revanche, les prix moyens (hors génériques) pourraient être multipliés par trois au Canada ! La raison principale à cela est que le marché américain est beaucoup plus important que celui du Canada. Cela confère peu de poids au régulateur canadien dans sa négociation avec des entreprises pharmaceutiques qui auraient beaucoup à perdre en réduisant leur prix. Les chercheurs considèrent également le cas où le mécanisme tient compte des prix dans un panier plus large de pays. La baisse aux Etats-Unis est alors plus marquée, mais l'effet dominant reste une hausse du prix dans les pays utilisés comme référence.

Accès aux soins

L'ultimatum de Donald Trump constitue surtout une menace à terme pour l'accessibilité à l'innovation médicale dans le reste du monde. Cela pourrait se traduire par une hausse des prix, mais également par la non-distribution des nouveaux médicaments dans certains pays. Les Américains accèdent un an plus tôt que le reste du monde à l'innovation médicale. Et les travaux académiques montrent que le système de prix de référence mis en place en Europe tend à retarder d'une année supplémentaire la diffusion d'un médicament dans les pays à faible revenu.

En France, le régulateur a bénéficié jusqu'ici d'un pouvoir de négociation important, car l'assurance-maladie solvabilise la population: notre marché constitue un enjeu relativement important pour les entreprises pharmaceutiques. Grâce à cela, les prix des médicaments innovants sont plus bas en moyenne que chez nos homologues. La contrepartie est un délai d'accès plus important: en termes de temps de disponibilité d'un nouveau médicament, nous nous situons à la 23e position européenne, très loin derrière l'Allemagne avec un écart supérieur à un an. La politique amorcée par Trump pourrait aggraver la situation en nous privant d'accès à certains soins tout en mettant la Sécurité sociale au défi de payer plus cher l'innovation médicale.

Article paru dans Les Echos no. 24553, le 24 septembre 2025

Illustration: Photo de National Cancer Institute sur Unsplash