Retraites: qu'en est-il des inégalités de santé?

28 Février 2023 Public policy

Repousser l'âge légal de départ à la retraite pourrait vite devenir insoutenable politiquement si on ne réussit pas à mieux tenir compte des inégalités en matière de santé, estime Frédéric Cherbonnier.

La réforme des retraites s'appuie sur un mauvais argumentaire, mais cherche à répondre à un vrai problème. Il n'y a pas le feu à notre système de retraite, en grande partie remis à l'équilibre par les réformes précédentes - via principalement une baisse progressive du niveau de vie relatif des retraités.

Mais notre dette se situe à un niveau inédit, le déficit public dépasse 5 % du PIB alors qu'il devient crucial de consacrer plus de ressources à certains postes où nous dépensons moins que nos principaux partenaires, notamment l'éducation, la recherche, la justice. Sans oublier les exigences liées à la guerre en Ukraine, la transition écologique, la situation de notre système de santé!

Face à cette situation, la capacité à générer de la richesse par le travail est déterminante. Or, près d'un tiers de la population en âge de travailler n'est pas active. In fine, le nombre d'heures travaillées par habitant est l'un des plus faible de l'OCDE. L'une des raisons principales à cela : le faible taux d'emploi des seniors, qui se situe à 57 % contre près de 74 % en Allemagne.

Un problème d'équité

Il est donc naturel de vouloir rallonger l'âge moyen de départ à la retraite, et d'utiliser pour cela des incitations économiques en jouant sur les principaux paramètres de notre système par répartition: durée de cotisation ou âge légal, assortis de pénalités pour qui ne respectent pas ces contraintes. Il y a débat sur l'efficacité de telles incitations - partir plus tard suppose idéalement de pouvoir rester en emploi, mais il est manifeste que la forte hausse du taux d'activité des seniors depuis quinze ans (+15 points) résulte en partie des réformes paramétriques précédentes.

Cette approche pose cependant un vrai problème d'équité. Celle-ci supposerait de déterminer le montant des pensions en tenant compte des apports passés et des versements futurs (soit la "neutralité actuarielle").

Les tables de mortalité fournies par l'Insee montrent que les catégories les plus pauvres (le premier décile de revenu) ont la même espérance de vie à 59 ans que la moyenne de la population à l'âge de 64 ans. Un calcul actuariel simple montre que cet écart justifierait de leur verser une pension, en proportion de leur revenu passé, de 30 % supérieur à celles des catégories les plus aisées. Or c'est tout le contraire aujourd'hui avec les systèmes de décotes, faisant perdre jusqu'à 25 % de la pension quand il manque des trimestres de cotisation.

Négocier au niveau sectoriel

Repousser l'âge légal de départ à la retraite peut ainsi vite devenir insoutenable politiquement si on ne réussit pas à mieux tenir compte des inégalités en matière de santé. Certes, le gouvernement a prévu quelques mesures, élargissant notamment l'accès au compte professionnel de prévention, qui permet aux salariés exerçant des métiers reconnus comme "pénibles" de bénéficier d'un départ à la retraite anticipée - et pourra également après la réforme financer une reconversion en cours de carrière.

Mais il faudrait aller beaucoup plus loin. La commission Blanchard-Tirole recommandait ainsi de laisser les partenaires sociaux négocier au niveau sectoriel des possibilités de départs anticipés financés par des cotisations spécifiques des entreprises concernées. Surtout, la prise en compte de la pénibilité devrait être l'un des objectifs principaux de la réforme au côté de la hausse du taux d'activité des seniors. En affichant une préoccupation essentiellement budgétaire, le gouvernement élude les vraies questions et se prive d'un discours politique cohérent.

Article paru dans Les Echos, le 23 février 2023. Copyright Les Echos.fr

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