Oui, la politique peut sauver l’environnement

19 Juin 2019 Economie politique

Comme viennent de nous le rappeler les élections européennes, les choix de priorités relatives à la protection de l’environnement sont souvent faits à des moments de changement politique, pour des raisons liées davantage à l’évolution des sentiments qu’à de nouveaux constats scientifiques. L’importance prise dans le débat public par le réchauffement climatique et le scepticisme ambiant quant à la capacité du système politique à apporter des solutions nous ont peut-être fait oublier l’histoire d’autres pollutions atmosphériques, ainsi que les solutions politiques qui ont permis de les combattre avec succès.

Jusque dans les années 1960, la pollution atmosphérique sous forme de particules suspendues, notamment de charbon, fut une menace grave pour la santé, et elle continue à l’être encore aujourd’hui dans de nombreux pays en voie de développement, surtout en Inde et en Chine. Une étude américaine propose un chiffrage intéressant de ce phénomène (« Long-Run Environmental Accounting in the US Economy », Nicholas Z. Muller, NBER Working Paper).
L’auteur construit une mesure « augmentée » du produit intérieur brut (PIB) de l’économie américaine sur soixante ans, de 1957 à 2016, appelée Environmentally-Adjusted Value Added (EVA, valeur ajoutée ajustée par l’environnement). Le calcul consiste à soustraire à la valeur des biens et services produits par l’économie américaine les coûts de la mortalité précoce due aux maladies respiratoires induites par la pollution.

Au début des années 1950, la mortalité associée à la pollution était de quelque 430 000 décès annuels, et l’ajustement du PIB fait par l’auteur le réduit d’environ 30 %. Mais à partir de la fin des années 1950, et surtout à la suite du vote de la loi antipollution Clean Air Act, en 1970, les pouvoirs publics ont fait de grands progrès dans la maîtrise de cette pollution dont les effets mortels avaient diminué de près des trois quarts en 2016.
Pour bien comptabiliser cette évolution dans ses calculs de l’EVA, l’auteur prend en compte non seulement les bénéfices dus à la réduction de mortalité, mais aussi les coûts des investissements nécessaires pour produire ce résultat. Les avancées environnementales viennent en effet rarement sans coûts associés.

Or, malgré ces coûts, les bénéfices ont été si importants que le taux annuel de croissance de la mesure ajustée (EVA) a été plus élevé que celui du PIB d’environ un demi-point de pourcentage sur l’ensemble des six décennies. Pendant les années 1960, l’EVA avait encore une croissance plus faible que le PIB, mais à partir de 1970, elle est devenue clairement plus forte.

Les plus démunis parmi les plus touchés

Les leçons de ces calculs ne confortent pas forcément les idées reçues. Tout d’abord, les coûts environnementaux de certaines politiques de développement pèsent très gravement sur le bien-être humain – à noter que la diminution de 30 % du PIB due à la pollution atmosphérique en 1957 ne comptabilise pas les sources de pollution autres que le charbon. L’inquiétude pour l’environnement n’est donc pas un luxe de consommateurs riches. On peut ajouter que ceux qui souffrent le plus au niveau mondial sont souvent les citoyens les plus démunis, dont les gouvernements n’ont pas la capacité de protéger les populations contre la pollution des eaux et des atmosphères.
La deuxième leçon est plus positive : malgré le pessimisme de ceux qui pensent que toute croissance économique est forcément nocive pour l’environnement, l’expérience des Etats-Unis depuis 1970 montre que, au moins à l’égard de certaines sources de pollution, une économie de marché bien régulée est capable de croître tout en maîtrisant les dommages environnementaux. Le réchauffement climatique, dont les coûts sont moins visibles dans le court terme, aura besoin de tout le courage des pouvoirs publics, mais aussi de toute l’adaptabilité de l’économie de marché pour que nous parvenions à une réussite équivalente.
 

Article publié dans le Monde.fr