Israël : la tentation illibérale de Netanyahou risque de peser sur l'économie du pays

11 Avril 2023 Economie politique

EDITORIAL - Bien que suspendu, la réforme du système judiciaire en Israël fait planer de nombreuses inquiétudes au-dessus de la start-up nation. L'instabilité qu'elle pourrait créer, si ce n'est déjà fait, n'a rien d'attrayant pour les investisseurs. Pas plus que le risque d'un glissement vers une politique illibérale.

Certains pays autocratiques comme la Chine ont fait la transition vers une économie de marché, leur assurant un développement spectaculaire, mais sans mettre en place un équilibre des pouvoirs. D'autres pays (Russie, Hongrie, Pologne, Turquie, Inde, ou, avec moins de succès, les Etats-Unis et le Brésil) ont vu des gouvernements populistes légalement élus consolider leur pouvoir en réduisant l'autonomie des tribunaux et en nommant des idéologues à leur tête.

Ces mesures s'accompagnent en général d'un contrôle des médias, de la réécriture de l'histoire nationale et de l'autoproclamation "nous sommes le peuple" suivie de la désignation d'"ennemis du peuple" (étrangers, minorités nationales, élites, etc.). Il ne peut y avoir de véritable démocratie sans un pouvoir judiciaire indépendant qui protège les minorités ethniques, religieuses, linguistiques, politiques ou sexuelles de la "tyrannie de la majorité". Peut-être moins connu est le fait que ces stratégies illibérales peuvent avoir un impact négatif sur l'économie.

Prenons comme illustration le projet de réforme des institutions israéliennes qui empêchera la Cour suprême d'invalider les lois de la Knesset et donnera le contrôle de la nomination des juges au gouvernement. Ce texte voté le 22 février, puis "suspendu" le 27 mars, suscite les plus vives inquiétudes. D'une part pour ceux dont le sort dépend de l'existence d'un Etat de droit, à savoir ses citoyens juifs et arabes ou les populations palestiniennes. Et d'autre part pour l'économie israélienne, qui pourrait souffrir de cette réforme, et ce pour quatre raisons.

Un appel d'air de réformes mauvaises pour l'économie

Tout d'abord, la dégradation du marché du travail. Israël compte beaucoup, pour sa défense et 54% de ses exportations, sur sa force exceptionnelle dans la haute technologie. Il est peu probable que les élites technologiques libérales se pressent ou restent dans un pays dont les politiques relatives à diverses questions sociétales sont réactionnaires.

Deuxième raison, l'instabilité. Une économie saine repose aussi sur une situation politique stable. Dans la mesure où la réforme risquerait d'exacerber les tensions déjà vives entre les juifs israéliens, et entre ceux-ci et les arabes israéliens et les Palestiniens, elle pourrait bien faire de l'Etat hébreu un lieu peu attrayant pour l'investissement économique. En outre, l'image dégradée d'un pays illibéral à l'étranger ne peut que compromettre les relations commerciales et les investissements étrangers directs.

L'absence de contrepouvoir judiciaire facilite la corruption des dirigeants et des fonctionnaires. Les inquiétudes sur la sécurité juridique des contrats et des droits de propriété, habituellement protégés par le système judiciaire, les feront se tenir à l'écart d'un pays qui ne respecte pas l'Etat de droit et ne protège pas ses minorités.

Enfin, une telle réforme est une pente glissante, non seulement en matière politique et sociale, mais aussi sur le plan économique. Après la consolidation du pouvoir dans quelques mains, d'autres réformes pourraient affaiblir davantage l'économie: le populisme macroéconomique, la contestation du multilatéralisme ou la remise en question de l'autonomie de la banque centrale et d'autres agences indépendantes.

Chine et Turquie, vrais/faux contre-exemples

L'on objectera à juste titre que de nombreux pays à gouvernement illibéral ont vécu des périodes de croissance importante. Cependant, il ne faut pas oublier que certains régimes autocratiques ont fait la transition vers l'économie de marché.

La Chine en est un exemple spectaculaire. En Turquie, Recep Tayyip Erdogan avait hérité d'un autre régime illibéral et le début de son mandat - comme celui de Vladimir Poutine par ailleurs - a été marqué par des réformes économiques. Dans les deux cas, le PIB crût rapidement lors des dix premières années. C'est seulement dans le temps, avec la consolidation du pouvoir politique, que la mauvaise gestion de l'économie est devenue une marque de fabrique. La Chine et le Vietnam sont des exemples frappants de rattrapage économique. La prochaine étape, pour la Chine, consistera à faire avancer la frontière technologique, mais son système politique est un handicap.

L'insistance pour mettre au pas les universités la prive d'une partie de son vivier de compétences et donc de start-up; sa nouvelle hostilité vis-à-vis des élites économiques pourrait nuire à son écosystème entrepreneurial; enfin, la dégradation de ses relations avec l'Occident impacte de grandes entreprises nationales comme Huawei et TikTok. Bien sûr, elle va continuer de croître, mais sans doute pas au rythme auquel elle peut prétendre.

Article paru dans Challenges le 11 avril 2023

Photo de Taylor Brandon sur Unsplash