Comment utiliser au mieux notre budget carbone ?

7 Avril 2023 Energie

Les tonnes de CO2 que notre atmosphère peut encore absorber sont comptées si l’on veut contenir le réchauffement climatique. Ce budget carbone nous oblige à optimiser l’exploitation des énergies fossiles. Les choix à faire ne sont pas anodins.  

 

1000 gigatonnes. C’est la quantité de CO2 que l’on peut encore émettre pour limiter le réchauffement planétaire à 2 degrés selon le dernier rapport du GIEC. Elle tombe à environ 400 gigatonnes si la cible est de 1.5 degrés. Ce budget carbone de l’humanité peut paraître conséquent mais il est faible au regard de ce qui a été émis par le passé. Nous avions déjà rejeté 1000 gigatonnes de CO2 au cours des trente dernières années. Au rythme des émissions actuelles, notre budget carbone sera épuisé dans 5 ans pour une augmentation de température de 1.5 degrés, et 20 ans pour 2 degrés. Il nous reste donc peu de temps pour atteindre la neutralité carbone. D’ici là, dans un monde où les énergies fossiles sont encore indispensables, il nous faut optimiser leur exploitation pour faire un meilleur usage de notre budget carbone. Charbon, pétrole ou gaz naturel, toutes les énergies fossiles ne se valent pas en termes de quantité de CO2 émise le long de leur cycle de vie, de l’extraction à la combustion. Il va falloir faire des choix.  

 

Le charbon, dehors ! 

La première chose à faire est de se débarrasser du charbon. C’est de loin la pire des énergies fossiles quant à ses impacts environnementaux.  Elle émet deux fois plus que le gaz naturel et un tiers de plus que le pétrole par unité d’énergie. Sa combustion détériore la qualité de l’air par les émissions de particules fines et d’oxydes de soufre, une des principales causes de mortalité dans le monde, et de perte de biodiversité liée aux pluies acides. Le charbon est aussi dominé dans ses usages par les autres énergies fossiles. Les centrales thermiques à gaz sont bien plus flexibles que celles qui brûlent du charbon pour produire de l’électricité. Et donc mieux à même de surmonter le problème de l’intermittence des énergies éolienne et solaire. Le pétrole est encore irremplaçable dans le transport. Seul point positif pour le charbon : c’est une ressource abondante et bon marché. Et c’est là tout le problème. Il faut faire en sorte que les réserves disponibles de charbon ne soient pas exploitées même si elles sont rentables. Des compensations financières seront nécessaires pour faire en sorte que les pays émergents renoncent au charbon disponible dans leur sous-sol. Elles peuvent se concrétiser sous la forme de contrats comme le Partenariat pour une transition énergétique juste signé avec l’Afrique du Sud. La mise à l’index du charbon par le mouvement « Coal exit » relayé par des ONGs peut aider en dénonçant la responsabilité des investisseurs et des entreprises.      

 

De l’or plus ou moins noir  

Même si l’on ne peut se passer de pétrole, du moins à court terme, on peut tout de même réduire de façon significative les émissions liées à son extraction. Le facteur d’émission d’un baril de pétrole peut varier du simple au double selon qu’il provient du sous-sol du Koweït ou bien des sables bitumineux de l’Alberta. Une étude récente des économistes Renaud Coulomb, Fanny Henriet et Léo Reitzmann estime que 10 gigatonnes de CO2 auraient pu être évitées entre 1992 et 2018 si on avait sélectionné les gisements en fonction de l’impact climatique de l’extraction. Les auteurs pointent du doigt deux facteurs qui expliquent ce gaspillage de budget carbone. Le premier est l’absence de prix des émissions de dioxyde de carbone au niveau mondial qui permet aux compagnies pétrolières de négliger le bilan carbone des gisements qu’elles exploitent. Le deuxième facteur est lié aux quotas de l’OPEP qui, en augmentant artificiellement les prix, rendent rentables des gisements de pays non-membres très émetteurs. C’est le cas des sables bitumineux du Canada. Ainsi les auteurs estiment que 7,64 gigatonnes de CO2 pourraient être évités à l’horizon 2050 par une optimisation de l’extraction du pétrole en prenant en compte le coût climatique.  

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La transition énergétique prendra beaucoup de temps. Nos économies sont encore très dépendantes des énergies fossiles et cela va perdurer pendant au moins une décennie. Charbon, gaz fossile et pétrole sont encore disponibles en abondance. C’est la capacité de l’atmosphère à absorber leurs émissions de gaz à effet de serre qui est limitée. La contrainte de rareté ne se trouve pas sous nos pieds mais au-dessus de nos têtes. Nous avons besoin de politiques publiques pour favoriser les énergies fossiles les plus décarbonés en attendant leur complète disparition du mix énergétique. Ne gâchons pas le maigre budget carbone encore à notre disposition.  

 

 
Published in Le Monde March 31st, 2023
Photo credits: Patrick Hendry