La taxe carbone est indispensable, point final

25 Novembre 2022 Environnement

Prix Nobel d’économie en 2014, Jean Tirole était l’invité d’honneur des "Jéco 2022" à Lyon. Occasion d’évoquer sa vision de l’économie en France et dans le monde, marquée par l’urgence de la décarbonation dans un contexte de crise climatique.

Interview de Jean Tirole parue dans Tout Lyon, le 21 novembre, 2022. Propos recueillis par Julien Verchère

Jean Tirole, vous étiez l’invité d’honneur des Journées de l’économie 2022 à Lyon, quel regard portez-vous sur ce programme de 60 conférences ouvertes au grand public ?

"Je suis franchement admiratif de ce que réalisent Pascal Le Merrer et son équipe ici. Il existe peut-être trois festivals de très haut niveau en Europe, et Lyon en fait partie. Les Jéco rassemblent des économistes, des gouverneurs de banques centrales, des industriels, des politiques, des représentants d’ONG, un alliage parfait.

Il faut avoir ce débat. J’ai un peu évolué sur ce sujet depuis 2014 d’ailleurs. J’ai beaucoup participé à la politique économique, mais toujours avec les ministères, les banques centrales, les autorités de la concurrence, les régulateurs bancaires...

On ne peut pas avoir un pays où seuls les experts disposent de l’information. Le public doit savoir ce qui se passe dans la réflexion économique. Dans un contexte de crise démocratique et de défiance vis-à-vis de plus en plus d’institutions, ce type de rendez-vous est plus qu’utile."

Lors de la conférence d’ouverture baptisée "La France à l’horizon 2030", il n’a été question que de décarbonation ou presque. En matière d’économie, peut-on aujourd’hui encore parler d’autres sujets que de ceux liés au changement climatique ?

"Oui, dans le cadre du rapport Tirole-Blanchard que nous avons rendu au président de la République en juin 2021 avec 26 économistes (à consulter et télécharger ici, Ndlr), il était par exemple question des inégalités, de la démographie et des retraites…

On pourrait citer beaucoup d’autres sujets essentiels en France, tels que l’Education, domaine dans lequel on a sous-investi de façon majeure. Beaucoup de ces sujets affichent un point commun. Ils constituent une bombe à retardement, conséquence de 30 ans d’hésitations et d’inaction. Quant au climat, cela devient quasiment une question existentielle."

Changement climatique : "Il ne faut pas être hypocrites, le problème c’est nous"

On ne vous a pas senti très optimiste quant à la capacité collective à avancer sur le sujet…

"Si les gens ne réagissent pas eux-mêmes et ne réfléchissent pas à la façon dont ils pourraient sauver la planète, ce sera très difficile dans une démocratie. On peut réclamer des efforts aux entreprises, mais celles-ci réagissent in fine à ce que souhaitent les consommateurs. De même, les politiques ont tendance à réagir à ce que demandent leurs électeurs.

Il ne faut pas être hypocrites, le problème c’est nous. C’est nous qui achetons des SUV, des lingettes…. Si l’attitude générale consiste à dire « oui c’est important mais je ne ferais rien pour », on ne va pas s’en sortir."

Décarbonation : "Plus on attend, plus le cout sera élevé pour l’économie française"

D’où cette logique de décarbonation, avec de nombreuses implications sur le plan économique et industriel, entre filières hydrogène, éoliennes, solaires… ?

"Nous sommes au pied du mur. Plus on attend, plus le coût de cette décarbonation sera élevé pour l’économie française. Il n’existe pas 36 façons de faire. On peut d’une part donner des incitations pour que la population et les entreprises utilisent moins de carbone.

On peut d’autre part financer la recherche et développement sur des technologies de rupture, dont on ne sait d’ailleurs pas laquelle ou lesquelles seront les bonnes à la fin. La crise du Covid en est la parfaite illustration : la technologie du vaccin à arn messager n’était pas en pôle position sur la ligne de départ.

Pour le climat, c’est la même chose, en réalité personne n’est capable de dire maintenant quelle est la meilleure solution. Il faut explorer plusieurs pistes et tenter d’être le plus neutre possible, au-delà des lobbys, pour faire les choix technologiques pertinents afin de décarboner au plus vite."

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