La révolution de la crédibilité

1 Février 2019 Politiques publiques

Les récentes avancées en matière d’analyse statistique et d’accès aux données microéconomiques ont facilité l’utilisation des méthodes expérimentales d’évaluation des politiques publiques. Les chercheurs de TSE Sylvain Chabé-Ferret et Nicolas Treich expliquent pourquoi ces techniques de pointe ont accéléré la transformation du domaine de l'économie en une véritable science empirique capable d’améliorer considérablement la transparence et l’évaluation des décisions publiques.

 

L'évaluation expérimentale d’une politique publique s’appuie sur le même principe que les essais cliniques en médecine : deux groupes sont choisis aléatoirement dans une population, l’un bénéficie de la politique tandis que l’autre joue le rôle de groupe témoin. L'impact de la politique est mesuré en comparant les deux groupes : les bénéficiaires et les non-bénéficiaires de la politique. En pratique, plusieurs types d’interventions randomisées permettent d’adapter les expériences pour les faire correspondre à la politique évaluée.

 

Les méthodes quasi-expérimentales se basent sur des données d'observation déjà disponibles pour estimer l’effet d'une politique publique en essayant de s’approcher des conditions expérimentales. Les méthodes quasi-expérimentales sont utiles car elles mobilisent moins de ressources et permettent de contourner les problèmes éthiques, politiques et comportementaux pouvant découler d’une répartition randomisée.

L’exception française

Les méthodes expérimentales sont utilisées depuis longtemps par les agences de réglementation américaines et institutions internationales telles que la Banque mondiale. En France, le développement de ces méthodes pour soutenir la prise de décision publique est bien plus récent et modéré. La progression des expériences semble limitée par de nombreux facteurs tels que les problèmes politiques et éthiques soulevés par la culture française sur la sélection aléatoire d’échantillons et l’accessibilité des données individuelles. Les limites politiques ont été grandement réduites depuis la loi constitutionnelle du 18 mars 2003 qui accorde des dérogations au principe de l’égalité de traitement à des fins expérimentales. Les pièges éthiques ont également été réduits car les universités font appel à des comités d’éthique pour évaluer les projets expérimentaux. Il reste cependant un obstacle : peu de décisionnaires publics connaissent les différentes possibilités de conception et les nouvelles techniques statistiques.

 

Apprentissage continu

Les outils d'évaluation des politiques traditionnels sont principalement basés sur des méthodes ex ante, telles que l’analyse coût-avantage, via des hypothèses sur les effets escomptés sur l’économie. En pratique, l’évaluation ex ante est complexe, en particulier pour les politiques sociales (aide au retour à l’emploi, encouragement aux études, réponse aux subventions, etc.) dont les effets escomptés dépendent du facteur humain. Il est difficile d’anticiper les réactions des bénéficiaires car elles varient en fonction de caractéristiques spécifiques à chaque individu.

 

Ainsi, il est primordial de mener des expériences avec les mesures proposées en les appliquant en premier lieu à de petits groupes. L’expérimentation doit être vue comme un « processus d’apprentissage continu » (Banerjee et Duflo, 2009), avec un système d’évaluation révisé tout au long du cycle de vie de la politique étudiée.

 

L'évaluation ex post a beaucoup été utilisée dans les domaines du travail, de l’éducation et du développement, où une compréhension approfondie du comportement est essentielle. L’évaluation ex ante a largement été appliquée dans des domaines tels que les transports, l’énergie et l’environnement, où les politiques peuvent avoir d’importants effets macroéconomiques à long terme et la valeur des approches ex post est moins claire. Il est par exemple difficile d'imaginer comment simuler les impacts à long terme à l’écuelle d’une planète avec ou sans politique climatique. Cependant, de récentes études ex post pourraient nous permettre de mieux comprendre les impacts à long terme d’une politique climatique en explorant les liens entre la politique climatique et les émissions de gaz à effet de serre, ou entre les températures et les dommages climatiques.

 

L'économiste-plombier

L’approche empirique en économie, et en particulier l’évaluation des politiques publiques, n’est pas limitée aux méthodes expérimentales et quasi-expérimentales. Les méthodes économétriques structurelles, qui partent de modèles comportementaux pour prédire les conséquences des interventions publiques, sont également très utiles. Les modèles structurels ont également tiré parti de la révolution de la crédibilité, car leurs prédictions ex ante ou basées sur un modèle sont de plus en plus comparées aux observations ex post.

 

Extrait du TSE Mag#18 Hiver 2018