La médecine libérale, un gisement d'économies

19 Novembre 2020 Santé
La médecine libérale, un gisement d'économies
 
La crise du Covid-19 a débouché sur une critique du système hospitalier français, jugé moins performant que celui de nos homologues allemands, situation imputée tantôt à une austérité budgétaire excessive, tantôt à une gabegie administrative et à l'absence de concurrence. Ces jugements quelque peu caricaturaux contribuent à nous détourner d'une vision complète du système de santé, tenant compte de l'ensemble du parcours de soins, de la médecine de ville à l'hôpital.
La contrainte budgétaire a pesé sur les dépenses de santé. Leur taux de croissance annuel a été en deçà de 3 % depuis dix ans, alors que le seul progrès médical tend à induire un rythme de croissance de près de 4 %.
L'innovation permet de soigner mieux, davantage, et il convient de mener une « chasse au gaspillage » pour faire face à la montée des dépenses qui en résulte. Il s'agit notamment d'éviter que les médecins ne protent de leur position de « sachant » pour inciter leurs patients à engager des dépenses excessives pour leur santé.
Ce phénomène de « demande induite » a été illustré de façon choquante par les économistes Jonathan Gruber et Maria Owings en 1996. Ceux-ci montraient que l'engouement pour les coûteuses césariennes aux Etats-Unis résultait en partie de l'inuence des médecins obstétriciens, désireux de maintenir leur chiffre d'affaires alors même que la fécondité s'effondrait. Une étude de Brigitte Dormont et Eric Delattre montrait de façon similaire, en 2000, que les médecins libéraux français ne pratiquant pas les dépassements d'honoraire compensaient cette
perte de revenus par une hausse des soins pratiqués auprès de chaque patient. Lorsque l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn déclare en 2017 que 30 % des dépenses de l'Assurancemaladie ne sont pas pertinentes, elle n'évoque dans son interview que l'hôpital public. Celui-ci a pourtant mené un effort récurrent pour baisser ses coûts, conduisant la Cour des comptes à considérer en 2010 le secteur public aussi performant économiquement que le privé. Une étude de Brigitte Dormont et de Carine Milcent concluait alors que les hôpitaux publics, à l'exception des petits établissements, étaient moins coûteux que les cliniques privées. Si l'on veut maintenir notre système de santé, il faut relâcher la contrainte sur l'hôpital public et chercher à faire des économies ailleurs, en particulier sur la médecine de ville. Depuis 2015, les dépenses de soins de ville ne respectent pas les objectifs xés par les pouvoirs publics. In ne, la progression annuelle des dépenses a été au cours des dix dernières années de l'ordre de 2,4 % pour la ville, contre 1,8 % pour l'hospitalier. Aucun dispositif ne permet de
réguler véritablement l'offre de soins dans ce domaine. Chez nos voisins d'outre-Rhin, les médecins sont tenus par une enveloppe de soins. En cas de dépassement, chaque acte  supplémentaire est rémunéré de manière dégressive. Cela permet une régulation des dépenses de ville, sans empêcher les médecins allemands d'être mieux rémunérés que les médecins français.
En France,il est proposé depuis longtemps que les agences régionales de santé aient la maîtrise des conventionnements et des modalités de rémunération des professionnels de santé, en vain. Le caractère « libéral » des médecins est un leurre, entretenant l'idée que ceux-ci ne perçoivent pas de rémunération de l'Etat, alors même qu'ils restent en grande partie nancés par nos cotisations sociales et devraient donc être encadrés plus sérieusement par les pouvoirs publics.
 
Artilce paru dans Les Echos n°23330, le jeudi 19 novembre 2020
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