Grandeur et décadence du gaz naturel

20 Septembre 2022 Energie

Le 6 juillet 2022, Le Parlement européen a entériné l’inclusion des activités gazières (et nucléaires) dans la liste des activités durables sur le plan environnemental, la taxonomie verte. Comment expliquer que cet adoubement environnemental se produise à une période où tous les gouvernements européens cherchent à se libérer de l’emprise du gaz naturel ?

La taxonomie et le marché

Depuis le début de 2022, le prix du gaz naturel atteint des sommets stratosphériques. Sur la plateforme virtuelle TTF d’Amsterdam le gaz fossile se négocie actuellement à 10 fois le prix de septembre 2021. Le marché nous envoie donc un signal de rareté qui devrait inciter les consommateurs à se détourner de cette énergie et, a contrario, convaincre les investisseurs qu’il est profitable d’entrer dans cette industrie et de s’y développer. De fait le marché joue son rôle de lanceur d’alerte et nous informe sur les dépenses des uns et les profits des autres. Même si on observe parfois des opérations à terme de 5 ou 10 ans, les marchés de l’énergie font surtout parler d’eux dans le court terme, voire le très court terme. En effet, comme les agents ne peuvent pas adapter instantanément leurs installations, leurs sources d’approvisionnement ou leurs usages en réaction à des chocs naturels ou politiques, l’équilibre entre offre et demande se résout par des hausses ou des baisses de prix spectaculaires, avant un retour à la normale si les chocs sont transitoires.

Dans un cadre où la régulation évolue au gré du débat politique, il n’est donc pas anormal d’observer une forme d’incohérence entre surchauffe des marchés et décisions réglementaires prises dans le temps long, surtout à Bruxelles. De fait, l’histoire de la taxonomie verte a débuté le 8 mars 2018 quand la Commission européenne a présenté son ‘’plan d’action pour financer la croissance durable’’. Il a fallu attendre mars 2022 pour que la Commission parvienne à un texte définitif incluant gaz et nucléaire dans la taxonomie, et le soumette au Parlement européen qui ne pouvait que l’accepter ou le rejeter sous 4 mois, sans l’amender. Pour être plus précis, le 6 juillet les députés européens n’ont pas voté en faveur du texte de la Commission ; ils ont voté contre la résolution qui en demandait le rejet, au terme d’une procédure qui avait débuté bien avant la crise gazière.

Arme stratégique

Si le gaz fossile figure dans la taxonomie verte, c’est à titre transitoire car on attend de lui qu’il facilite la décarbonation de l’économie. L’adjectif transitoire annonce un bannissement futur, mais aucune date n’est fixée. Même dans le scénario utopique « zéro émission nette en 2050 » il reste des activités gazières émettrices de CO2 car ces émissions sont supposées être absorbées par les puits de carbone naturels et industriels. Le gaz est donc provisoirement le bienvenu, notamment en remplacement du charbon bien plus émetteur de gaz à effet de serre. On attend beaucoup de lui pour compenser l’intermittence des énergies éolienne et solaire, en synergie avec le stockage et une demande plus réactive aux signaux de rareté.

Mais la guerre en Ukraine vient troubler l’image vertueuse que la taxonomie voulait donner au gaz fossile. Le voici promu au rang d’arme stratégique, provoquant une flambée du prix de l’électricité inédite et contribuant au retour d’un mal que l’on croyait maîtrisé, l’inflation. En quelques semaines, le gaz est devenu un ennemi public et les entreprises du secteur de l’énergie sont sommées de rembourser les profits « indument » engrangés.

La flambée actuelle du prix du gaz est un évènement conjoncturel dont l’évolution dépendra des combats en Ukraine. Elle devrait s’éteindre lorsque la paix sera signée. En revanche, le réchauffement climatique est un problème structurel. Il ne disparaitra pas quand le prix du gaz retrouvera les niveaux d’avant la guerre. Les gouvernements envisagent des réformes structurelles pour les marchés de l’énergie en réponse à la crise conjoncturelle actuelle qu’on peut voir comme un premier avertissement sur ce que sera notre avenir. Mais il ne faut pas mélanger les deux : si les remèdes de court terme se prescrivent dans l’urgence pour aider l’économie à surmonter la crise, notamment en faveur des populations les plus pauvres, l’urgence ne doit pas dicter des décisions en matière de restructuration de l’industrie et de réforme des marchés.

Réformes

Le point commun des projets de réforme dont on commence à parler en Europe est un confinement de l’industrie électrique pour la protéger de la contamination des marchés. Ainsi en France, le projet de renationalisation d’EDF vise à retirer des mains privées les 15% du capital détenus par des actionnaires institutionnels et individuels.

A l’échelle européenne, le bouc émissaire de la crise actuelle est le marché de gros de l’électricité, attaqué de toute part, notamment par la présidente de la Commission européenne. Pour les responsables politiques, la priorité est de bâillonner ce marché, comme si en bridant le thermomètre on pouvait guérir un malade. Le mot à la mode est ‘découplage’. Dans son principe, il s’agit empêcher le prix du gaz d’impacter la facture payée par les consommateurs d’électricité. Mais les modalités restent à définir au gré des inclinations plus ou moins interventionnistes des autorités. Certains pensent à compenser financièrement les consommateurs en prélevant sur les profits des producteurs qui retirent des bénéfices élevés grâce à leur faible coût d’exploitation. Pour d’autres il faut en finir avec la tarification au coût marginal et fixer des prix de l’énergie qui reflètent le coût moyen des unités de production, autant dire en finir avec le principe de fonctionnement du marché actuel. On trouve aussi des projets de séparation en deux marchés, l’un réservé aux technologies à faible coût d’exploitation (nucléaire et renouvelables), l’autre aux technologies utilisant des énergies fossiles (charbon et gaz).[1] Les conséquences de ces différentes mesures structurelles restent à évaluer, en particulier leur impact sur les plans d’investissement des producteurs et sur l’encouragement à la consommation induit par un blocage de prix.

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Le gaz fossile ne mérite ni d’être porté au pinacle ni d’être voué aux gémonies. Tant que les consommateurs ne voudront pas ou ne pourront pas adapter leur soutirage de kilowattheures aux variations du vent et de l’ensoleillement, tant que le stockage de l’électricité n’aura pas atteint des capacités significatives, le gaz restera une énergie indispensable aux économies industrielles, en particulier à l’industrie électrique. Et tant qu’à vouloir réformer les marchés électriques, les autorités publiques devraient s’intéresser davantage aux dysfonctionnements du marché de détail plutôt que chercher à réformer un marché de gros qui remplit correctement ses missions, comme souligné par les régulateurs de l’énergie.

 

[1] Pour les détails, voir MIT1 et MIT2.