Retour sur les marchés électriques en 2022

12 Décembre 2023 Energie

L’année 2022 laissera le souvenir d’une grande agitation pour l’approvisionnement en énergies électrique et gazière. Maintenant que les choses se sont (partiellement) stabilisées, nous pouvons prendre le temps d’analyser les faits et les chiffres en consultant le rapport sur «Le fonctionnement des marchés de gros de l’électricité et du gaz naturel en 2022 » publié par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) en juillet 2023. Nous en avons extrait trois informations : l’évolution des prix de gros, le respect du règlement REMIT et la marginalité des technologies.

 

Les prix de gros de l’électricité

Comme le montre le graphique ci-joint, en 2022 le prix moyen hebdomadaire du MWh électrique en France a suivi une trajectoire très différente de celle de 2021 (à l’exception du dernier trimestre 2021 déjà affecté par les premières tensions sur le marché du gaz naturel). 

Average weekly price of electricity MWh in France

Les prix de 2022 ont été plus élevés : 276€/MWh en moyenne contre 95,5€/MWh l’année précédente. On en a suffisamment parlé pour que ce ne soit pas un scoop. Leur irrégularité au long de l’année est plus surprenante, en particulier le pic estival, avec un point haut de 611€/MWh en moyenne au cours de la semaine du 22 août. Cette valeur élevée reflète à la fois les conditions techniques de l’été et les anticipations sur l’équilibrage du marché pendant l’hiver. Il y a d’abord la faible disponibilité du parc nucléaire national qui s’explique par la découverte d’un phénomène de corrosion sous contrainte touchant douze réacteurs qu’il a fallu soumettre à une expertise approfondie. Il faut y ajouter que, pour ne pas risquer une défaillance hivernale du système électrique, certaines centrales nucléaires et hydroélectriques où les stocks ont atteint des niveaux historiquement bas en juillet 2022 ont adopté une « gestion prudente » de leurs capacités pendant les mois d’été, période de faible demande. Cette restriction de l’offre à fait monter les prix, laissant craindre une envolée en hiver. Mais grâce à un hiver doux, les capacités de production ont été suffisantes et les prix n’ont pas atteint les sommets redoutés. Dans une industrie où le produit est à la fois indispensable et non stockable, la prudence, même si elle se révèle excessive après coup, est préférable à l’imprévoyance dont on a vu les conséquences au Texas en février 2021.

Intégrité et transparence du marché de gros

En France, c’est la CRE qui est chargée de la surveillance des marchés de gros de l’énergie dans le cadre du règlement européen n°1227/2011 (REMIT). Il s’agit d’empêcher les manipulations de marché et les opérations d’initiés, et d’obliger les acteurs du marché à publier les informations privilégiées qu’ils détiennent, en particulier la disponibilité des centrales. Les convulsions du marché de l’électricité provoquées par la raréfaction des livraisons de gaz naturel auraient pu susciter des velléités d’abus de dominance. D’après la CRE il n’en a rien été, du moins pas plus que les années précédentes. Il y a cependant aux pages 9 et 16 du rapport de surveillance une remarque étonnante. Pour identifier les possibles cas d’abus de marché, la CRE s’appuie sur des outils automatisés de détection, mais aussi sur les notifications de suspicions reçues de différentes sources, et notamment des personnes organisant des transactions à titre professionnel (PPAT). Et la CRE de s’étonner que, malgré une année 2022 très bouleversée, elle n’a pas observé de hausse particulière du nombre d’alertes de la part des PPAT. Le rapport dit alors que « Si ce constat peut être interprété comme rassurant, le faible nombre de notifications a toutefois conduit la CRE à rappeler à certains PPAT leur devoir de surveillance. » Le constat est peut-être rassurant, mais l’insertion de cette remarque ne l’est pas pour ce qui est de la fiabilité du dispositif.

La marginalité des technologies

Comme l’électricité est un produit non stockable, le coût de fourniture d’un MWh supplémentaire est celui supporté par la technologie qu’il faut mobiliser pour produire instantanément ce MWh. Cette technologie dite « marginale » a un coût supérieur ou égal aux technologies déjà actives pour la production d’électricité. En effet, si elle avait un coût inférieur, cela signifierait que le dispatching entre les différentes technologies de production n’a pas été organisé de façon efficiente. Le coût de la technologie marginale donne le signal de rareté de l’énergie électrique à un moment donné. Il sert de prix pour rémunérer l’ensemble des producteurs actifs à cet instant. L’identification de cette technologie marginale et la mesure de son coût ne sont pas choses aisées (voir pages 77-78 du rapport de la CRE).

A cause de la conjoncture, sur ce plan aussi l’année 2022 est atypique. Par exemple, l’hydraulique n’a été technologie marginale que 16,3 % du temps en 2022 contre 33,3 % l’année précédentes. Ce sont les importations qui ont fourni le MWh le plus coûteux le plus souvent, dans 46 % des 8760 heures de l’année, et jusqu’à 70 % en août. Pendant les périodes de tension, c’est l’Italie qui nous a apporté les MWh marginaux, alors que la France est habituellement exportatrice en raison de prix italiens plus élevés. Pour ce qui est du gaz naturel, le bouc émissaire de l’année 2022, sa production a augmenté mais il a été moins souvent source d’énergie marginale car c’est une technologie dont la rentabilité est élevée, ce qui permet de la faire fonctionner plus souvent en base. Le nucléaire aussi a vu sa marginalité augmenter, notamment à la fin de l’année grâce à la réouverture des centrales à l’arrêt pendant l’été.

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Par la combinaison de la sécheresse, de la maintenance des centrales nucléaires et de la guerre en Ukraine, l’année 2022 se caractérise donc par un pic de prix inattendu en plein été. Mais grâce aux interconnexions, nous avons évité des hausses encore plus fortes, voire des coupures. Dans les prochaines années, les épisodes de canicule vont probablement se répéter. Par manque d’eau mais aussi à cause de l’accroissement des besoins en climatisation, le pic estival risque de devenir la norme plutôt que l’exception.

 

Publié dans La Tribune

Photo : S. Ambec