Dans la “Royal Navy”, le népotisme servait de garde-fou contre l’incompétence

21 Janvier 2021 Histoire

L’économiste Paul Seabright rapporte, dans sa chronique au « Monde », les conclusions d’une étude historique qui montre l’eficacité de la sélection des meilleurs oficiers de la Royal Navy, entre la fin du XVIIe et le XIXe siècle, par le biais… de leurs liens familiaux.

Chronique. Le népotisme a mauvaise réputation pour les raisons que tout le monde connaît. Enfin, tout le monde croit les connaître, même si le népotisme stricto sensu est moins répandu que l’on prétend. Le mot venant du latin nepos (« neveu ») indiquait la pratique de nomination des neveux à des postes importants, assez répandue dans l’Eglise médiévale où les évêques n’avaient pas de descendance légitime. On en voit beaucoup moins de nos jours – l’accès d’Ivanka Trump, par exemple, aux positions de pouvoir et de profit à Washington et à New York ne doit strictement rien à l’influence de… son oncle.

L’emploi de personnes nommées par des parents plus ou moins proches est souvent critiqué pour son inefficacité, et non uniquement pour son injustice. On suppose que les personnes ainsi promues sont en moyenne moins compétentes que celles qui l’auraient été par une procédure plus ouverte.

Pourtant, une étude présentée en ligne le 5 janvier au congrès de l’Allied Social Science Association (ASSA, Etats-Unis) montre que la Royal Navy britannique avait mis en place aux XVIIIe et XIXe siècles un système où le népotisme systématique servait de garde-fou contre la promotion d’officiers incompétents ou peu courageux (Patronage for Productivity : Selection and Performance in the Age of Sail, Hans-Joachim Voth et Guo Xu).

Un moyen utile pour repérer, pas pour favoriser

La clé de la réussite du système semble avoir été que, dans un monde où l’incompétence des uns conduit à la mort des autres, la hiérarchie avait un grand intérêt collectif à éviter les promotions défaillantes. Or c’est souvent sur les membres de sa propre famille qu’on détient le plus d’informations.

Les auteurs ont rassemblé des données sur les carrières de 5 848 officiers de la Royal Navy entre 1690 et 1849, sujets de 4 193 décisions prises par 49 commissions de promotion. Pour chacun, ils ont regardé quels étaient les liens de parenté avec les deux principaux chefs de la hiérarchie navale (qui changeaient régulièrement, ce qui fait qu’un officier donné pouvait avoir des liens de parenté influents à une période et non pas à une autre).

Ils ont croisé ces informations avec les indices de réussite de chacun – les batailles auxquelles ils ont participé, avec capture de navires ennemis par exemple. Les auteurs constatent que les officiers promus qui avaient des liens de parenté ont mieux réussi que les autres – notamment en menant plus souvent le combat jusqu’à une conclusion décisive.

Davantage de courage et de persévérance

Un cas notoire est celui d’un jeune marin promu lieutenant à l’âge de 19 ans par une commission présidée par son oncle (qui est alors contrôleur général de la marine), et promu capitaine de vaisseau à l’âge de 21 ans. Il s’agit de Horatio Nelson, un des officiers les plus talentueux de l’histoire de la marine anglaise.

L’étude essaie de vérifer que la diférence entre la réussite des officiers ainsi favorisés et leurs pairs sans lien de parenté n’est pas due à une diférence entre le type de bataille engagée. Et il semblerait efectivement que les officiers mieux « connectés » avaient en moyenne de meilleures qualités de courage et de persévérance au combat. Le népotisme avait servi pour les repérer et non pas pour les favoriser à la place de meilleurs candidats.

Cette enquête ne vise certes pas à réhabiliter le népotisme, mais plutôt à nous rappeler à quel point les circonstances propres à la Royal Navy de l’époque étaient particulières. Les promotions de personnes peu compétentes auraient pu nuire de manière très visible à la réputation des chefs de la hiérarchie navale. Ceux-ci avaient donc tout intérêt à utiliser leurs informations sur les qualités des membres de leur famille pour repérer les courageux et les talentueux, et pour décourager les moins bons. Et il y avait peu de moyens alternatifs pour s’informer sur les qualités des uns et des autres. Ce qui n’est plus le cas de nos jours et l’impact négatif de la promotion de personnes incompétentes est beaucoup moins visible qu’il ne l’était alors pour la Royal Navy.

Article publié dans Le Monde le 21 janvier 2021

Photo d'illustration: ronniemacdonald@gmail.com