Il faut repenser les aides au monde agricole

12 Mars 2015 Agriculture

Le Salon de l'agriculture fut l'occasion de débattre d'une politique agricole commune (PAC) qui représente encore 40 % des dépenses européennes. Une aberration alors que l'Europe a bien d'autres priorités à adresser pour pérenniser sa zone monétaire ! Conçue dès le traité de Rome (1957) pour assurer notre autosuffisance alimentaire et s'appuyant sur des « prix garantis », la PAC s'est traduite par une offre excédentaire, symbolisée dans les années 1970 par des « montagnes » de beurre, déstabilisant le marché mondial, étouffant l'essor de l'agriculture dans les pays en voie de développement et limitant la rationalisation de l'agriculture européenne. Il aura fallu plus d'un demi-siècle pour abandonner ces dispositifs et mettre en place le découplage des aides supposées récompenser les agriculteurs pour l'entretien de ce bien public qu'est la terre. Dès lors, la politique agricole relève en grande partie de la redistribution et doit être mise en place au niveau des Etats pour tenir compte des spécificités locales. Il n'y a pas de raison que cela passe par un budget européen.

Au niveau national, la politique agricole doit aujourd'hui poursuivre deux objectifs, susceptibles d'apporter un revenu minimal aux agriculteurs : inciter au travers de subventions les pratiques vertueuses pour l'environnement et permettre d'accéder à des sources de financement et d'assurance. Le diable se nichant dans les détails, il faut s'assurer que les subventions soient bien incitatives et ne se réduisent pas à de simples effets d'aubaine. Ainsi, une étude de Sylvain Chabé-Ferret et Julie Subervie révélait en 2013 le faible impact de certaines subventions, en faveur des pièges à nitrates notamment, tout en soulignant l'efficacité des aides à la conversion à l'agriculture biologique. Le gain environnemental pourrait même, selon certains travaux, largement dépasser le coût de l'intervention publique en faveur de cette filière bio.

Pour autant, il ne faudrait pas se limiter à cette agriculture bio de « luxe » et jeter l'anathème sur des projets tels que la ferme des mille vaches : une agriculture intensive peut se développer, sans dégâts pour l'environnement et constituer une source de débouchés et d'emplois pour notre économie. Notre planète en a aussi besoin pour nourrir d'ici à 2050 plus de 9 milliards d'individus : un défi exigeant une croissance de 60 % de la production agricole, ce qui semble accessible, même si des incertitudes - liées par exemple à la raréfaction de l'eau - demeurent. L'innovation pouvant jouer un rôle crucial, le chef de l'Etat a eu raison de prendre position pour une poursuite de la recherche sur les OGM. De fait, au niveau mondial, la question de la sécurité alimentaire se pose avec une acuité accrue. Le réchauffement climatique peut ruiner l'agriculture de certains pays. L'attitude des pays riches, bientôt rejoints par la Chine, peut fragiliser la situation : l'ONU expliquait déjà en partie les famines de 2007 par les subventions américaines en faveur des biocarburants. De même, notre propension à consommer de la viande détourne la production céréalière vers l'alimentation animale, notre attrait pour le bio conduit à une agriculture moins intensive et plus coûteuse…

Cependant, il est difficile de croire qu'une coordination mondiale se mette en place pour limiter l'appétence des pays riches et assurer la sécurité alimentaire des plus démunis. Est-ce irrémédiable ? Pas nécessairement : comme l'indique le prix Nobel d'économie et philosophe indien Amartya Sen, l'instauration de la démocratie suffit à faire disparaître les famines, et ce, même dans les pays les plus pauvres.

A lire dans les Echos.fr