II faut repenser notre pilotage budgétaire

21 Mai 2015

Il faut enlever le miel des pattes du gros ours budgétaire en été, lorsque le miel déborde du pot, et non pas en hiver, lorsque le pot de miel est presque vide : d'où l'idée de swaps budgétaires. Dans l'idéal, une politique budgétaire devrait être contracyclique : expansive en récession, restrictive en croissance. Dans la pratique, c'est le contraire : effrayés par les larges déficits de récession, les gouvernements serrent les boulons et font replonger le pays… Quand la croissance repart, toutes les demandes sociales et politiques confluent pour exiger de bénéficier des fruits de la croissance retrouvée : les gouvernements cèdent. La dérive de notre dette depuis quarante ans est donc due à la gestion laxiste des finances publiques en période de croissance, non en récession.

La solution est pourtant simple : trouver un moyen robuste, simple et crédible pour à la fois enlever le miel à la belle saison et le faire revenir en hiver. Cette solution, que je suggère ici, ce sont les swaps budgétaires. En période de croissance, le Trésor français transférerait, par contrat, à des investisseurs internationaux sûrs et aux poches larges, tous les revenus fiscaux supplémentaires engendrés par la croissance. En période de récession (ou plutôt de croissance en dessous du potentiel), ces investisseurs restitueraient cet argent au Trésor français. Ce sont des swaps (contrats d'échange) budgétaires. Comme la durée des cycles économiques est incertaine, une clause balai serait insérée : sur les dix dernières années, la somme des flux entrants et sortants serait nulle. En période de croissance, le miel serait envoyé à l'étranger et ne pourrait être dépensé ; il n'y aurait plus de « cagnotte » ; les chiffres budgétaires incluraient comme dépense déjà engagée ce transfert de richesse. Pas la peine de manifester pour des sous déjà plus là. En cas de récession, les investisseurs transféreraient ces revenus en sens inverse et la récession serait beaucoup moins nocive pour tous. Ces swaps budgétaires seraient une assurance, payée en période de croissance, contre le risque de récession.

Les swaps budgétaires devraient être signés avec de très grands investisseurs mondiaux, qui, d'une part, ne subiraient pas le même cycle économique que nous et qui, d'autre part, seraient très crédibles et sûrs. Les candidats évidents sont les réserves de change des grandes banques centrales d'Asie, du Moyen-Orient, ou du Brésil, ou bien les grands fonds souverains mondiaux (Norvège, Singapour, pays du Golfe). Ces contrats de swaps budgétaires seraient signés en droit international (à Londres, par exemple), ce qui empêcherait les parties de s'y soustraire. Pour remplir ce rôle d'assureur, ces investisseurs seraient rémunérés. Il y aura des difficultés techniques : identification de la période de croissance ou de récession, timing des paiements… mais rien de tout cela n'est insurmontable. L'essentiel est que ces swaps budgétaires nous garderaient contre nos contradictions extrêmes : dépenser trop en période de croissance et réduire trop nos dépenses publiques en récession. Quand on voit les dégâts politiques et sociaux créés par les récessions, s'assurer contre serait de bonne politique.

Homère empêcha Ulysse de succomber aux Sirènes en l'attachant au mât de son bateau (chant XII de « L'Odyssée »). C'est ce que nous avons voulu faire avec les diverses règles budgétaires. Plus faibles qu'Homère, nous avons échoué. Je suggère, avec les swaps budgétaires, de faire disparaître les Sirènes lorsque nous les approcherons. Avec, dès 2015, le retour de la croissance, enlevons vite le pot de miel, c'est urgent ; il nous servira lors de notre prochain hiver budgétaire.


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