Electricité, propre à consommer

10 Septembre 2015 Energie

Le nouveau monde vers lequel nous entraine la transition énergétique sera décarboné. Il devra donc être intensément électrique. Il existe pourtant de grandes divergences d’opinion quant aux qualités des méthodes de production de l’électricité, qu’il s’agisse du nucléaire, de l’éolien, du photovoltaïque, de l’hydraulique ou de la combustion d’énergies fossiles. En revanche, il y a consensus (au moins apparent) pour ce qui est des qualités de l’électricité sur les lieux de consommation. 

1. L’avenir est électrique

La Feuille de route vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l’horizon 2050 publiée par la Commission européenne en mars 2011 fixe un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 80% des émissions de 1990. Comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous, pour y parvenir elle prévoit des rejets quasi nuls par l’industrie électrique, mais aussi une réduction drastique dans les secteurs résidentiel et tertiaire, dans l’industrie et dans le secteur des transports. Ce résultat ne peut être atteint que par une combinaison de nouvelles technologies et de changement dans les comportements … et par un recours massif à l’électricité en substitution aux énergies polluantes utilisées actuellement au plus près des points de consommation.

Réduction souhaitable des émissions de gaz à effet de serre

source : Feuille de route vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l’horizon 2050. COM(2011) 112, 8 mars 2011

 

En effet, l’une des raisons du succès de l’électricité au cours du 20ème siècle, malgré le réseau complexe que nécessite son acheminement, est sa propreté environnementale sur les lieux de consommation. Il reste bien sûr des dégagements de chaleur, des moteurs mal insonorisés et une certaine dangerosité dans la manipulation des appareils électriques, mais pas de fumée, pas de poussière, pas de particules fines (PM2.5)[1]. Si les grandes villes européennes et nord-américaines, célèbres pour leur smog (mélange de fumée-smoke et de brouillard-fog) ont maintenant un air à peu près respirable, c’est en grande partie grâce à l’abandon de la cuisine et du chauffage au charbon ou au bois, remplacés par le gaz naturel et l’électricité. La pollution récurrente de l’air dans les grandes villes chinoises[2] nous rappelle quel était l’état de nos métropoles il y a quelques décennies.

Aujourd’hui, le principal pollueur des cités américaines et européennes est le transport. Transport public, covoiturage, deux-roues et motorisation moins polluantes sont des clefs de l’assainissement de l’air urbain. Mais de même que c’est l’électrification du chauffage[3] accompagnée d’une meilleure isolation des logements et bureaux qui règlera le bilan énergétique du résidentiel et du tertiaire, c’est l’électrification du transport qui augmentera le bien-être des citadins en termes de pollution locale.   

2. Les usages de l’électricité

Nous n’avons parlé jusqu’ici que de chauffage, cuisine et transport pour lesquels il existe des substituts. C’est aussi le cas de l’éclairage et de l’eau chaude sanitaire, qui est soit chauffée à la demande, soit chauffée à l’avance et stockée.

Mais il faut aussi compter avec le développement de services pour lesquels l’électricité n’a pas de concurrent : l’électroménager, l’électronique domestique et tertiaire et l’air conditionné. Un nombre croissant de ménages sont équipés de multiples appareils à moudre, cuire, conserver, laver, sécher. Les logements et bureaux sont de plus en plus équipés de systèmes de surveillance, régulation, protection. Tous ces équipements nécessitent une fourniture électrique, en hausse permanente depuis déjà longtemps. Mais deux autres usages plus récents accentuent les besoins : l’air conditionné et les équipements informatiques et de communication.

Les Etats du sud de l’Europe ont déjà suivi l’exemple des Etats américains en installant des appareils de rafraichissement intérieur, avec pour effet de déplacer parfois les pointes de consommation d’électricité de l’hiver vers l’été. Plus au nord, le besoin ne s’était pas encore fait sentir. Mais les choses sont en train de changer sous la double influence de la perspective du réchauffement climatique et de la baisse des prix des équipements d’air conditionné. Il serait bien entendu plus efficace à long terme de faire isoler les immeubles, mais le coût en est disproportionné pour le parc existant et le rythme des constructions neuves beaucoup trop lent pour donner un résultat significatif à moyen terme. 

Pour ce qui est des systèmes d’information, de communication et de loisir, il suffit de regarder autour de soi, y compris dans l’espace public, pour constater l’augmentation considérable des besoins en énergie électrique, sans parler de ceux qui restent cachés, comme les centres  d’hébergement de serveurs.

3. Les pertes énergétiques

Le principal inconvénient de l’électricité est que « elle n’est pas une source d’énergie, mais un  vecteur énergétique, c’est à dire la forme que prend l’énergie pour son transport et éventuellement son stockage ».[4] Il ne faudrait pas que les gains réalisés grâce à une plus forte électrification des appareils de consommation soient effacés par une dégradation sur les lieux de production. Notamment, pour que le bilan soit positif globalement, il ne faut pas que l’électricité dédiée au chauffage soit produite à partir d’énergies fossiles. Si la production électrique se fait dans des centrales au charbon, remplacer le chauffage au gaz par le chauffage électrique ne peut qu’augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

En plus des problèmes de pollution, il faut aussi se demander si ce vecteur de transport dans l’espace et dans le temps est suffisamment performant pour compenser les pertes  d’énergie dues à la conversion en électricité. En effet, l’hydraulique, le photovoltaïque et l’éolien transforment directement de l’énergie primaire en énergie électrique. En revanche les sources thermiques passent par une transformation chaleur-travail et il se produit des pertes de conversion dissipées sous forme de chaleur, plus de 50% dans les centrales classiques. Donc, quoi que nous fassions sur les lieux de consommation avec de l’électricité d’origine thermique, il faut brûler sur les sites de production plus du double de l’énergie qui aurait été nécessaire s’il avait été possible d’utiliser directement cette énergie. Ceci explique pourquoi la réglementation thermique, qui cherche à réduire la consommation d’énergies primaires, est généralement peu favorable à l’électricité.[5]

Autre problème, le stockage. Nos aïeux stockaient le bois ou le charbon au plus près du poêle et de la cuisinière. Nous ne savons pas stocker l’électricité sauf en faible quantité pour nos appareils nomades. Jusqu’il y a peu, l’industrie électrique misait sur la fiabilité du système de production et de transport pour satisfaire les caprices de la demande. Avec la montée en puissance des énergies intermittentes, se pose le problème de l’organisation d’un système de fourniture fiable. Sur le lieu de consommation, une partie de la solution viendra des effacements, acceptés ou subis, contingents au manque d’ensoleillement et au manque de vent. Mais c’est du côté du stockage qu’il faut plutôt compter : stockage de la chaleur et stockage de l’énergie électrique. Donc adieu la cave à charbon, la réserve à bois et la cuve à mazout, mais bonjour les accumulateurs de chaleur et les batteries domestiques ![6] Avec le tout électrique basé sur des énergies intermittentes, on retrouve le problème d’encombrement de l’espace domestique ou tertiaire, mais sans poussières ni odeur.

 

* * *

La promotion de l’électricité dans les usages domestiques, tertiaires et de transport présuppose que l’arbitrage entre propreté urbaine et pollution industrielle soit favorable à la première. C’est vrai en France grâce à un bouquet énergétique fiable et faiblement émetteur de gaz à effet de serre. Ce n’est pas le cas dans les pays utilisant encore majoritairement du charbon.[7]

Partout, l’une des clefs de la décarbonation sera les gains d’efficacité, l’amélioration des rendements thermiques à tous les stades, donc aussi au stade de la consommation. Maintenir ou améliorer la qualité de service en réduisant la consommation d’énergie primaire est une avancée technique profitable pour tous. La Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte[8] en définit les principaux axes en matière de rénovation des bâtiments, développement des transports propres et lutte contre les gaspillages. Pour juger de l’efficacité, il faut attendre les décrets d’application.

 

 

[1] Les particules fines sont les matières particulaires (PM en anglais) dont le diamètre est inférieur à 2,5 micromètres. Elles pénètrent jusqu’au niveau des alvéoles pulmonaires.

 

[2] D’après “Air Pollution in China: Mapping of Concentrations and Sources »,disponible à l’adresse berkeleyearth.org/wp-content/uploads/2015/08/China-Air-Quality-Paper-July-2015.pdf, la pollution de l’air est responsable de 17% des décès en Chine. Pour une carte particulièrement explicite, voir berkeleyearth.org/usa-europe-press-release-image.

[3] Actuellement, 31% des ménages français se chauffent à l’électricité; source www.ademe.fr/particuliers-eco-citoyens/habitation/construire/chauffage-climatisation

[4] Olivier Sidler, www.enertech.fr/pdf/47/Maitrise%20demande%20electricite%20residentiel.pdf

[5] En France, conformément à l’article 4 de la loi Grenelle 1, la réglementation thermique (RT 2012) a pour objectif de limiter la consommation d’énergie primaire des bâtiments neufs à un maximum de 50 kWhEP/(m².an) en moyenne ; www.developpement-durable.gouv.fr/Chapitre-I-La-reglementation.html

Les facteurs de conversion de l'énergie finale en énergie primaire (EP) sont 2,58 pour l'électricité, 1 pour les autres énergies (Arrêté du 15 septembre 2006 relatif au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments existants proposés à la vente en France métropolitaine).

[6] En avril 2015, l’entreprise américaine Tesla (véhicules électriques de luxe) a lancé le Powerwall, une batterie lithium-ion  à accrocher au mur : www.teslamotors.com/fr_FR/powerwall

[7] Voir www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/2012/995/levolution-mix-electrique-monde-entre-1980-2010.html. C’était encore vrai récemment aux USA. Mais depuis avril 2015, le charbon (30,2% de la production d’électricité) a été détrôné par le gaz naturel (31,5%) : voir www.eia.gov/electricity/monthly/epm_table_grapher.cfm?t=epmt_1_01

[8] www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/joe_20150818_0189_0001_1_-3.pdf