Ecologie politique

15 Octobre 2014 Energie

Une séquence politico-économique comme seuls savent en offrir les gouvernants français s’est déroulée la semaine dernière. La ministre en charge de l’écologie a annoncé jeudi 9 octobre 2014 le report sine die de l'écotaxe[1], alors même que le Parlement débattait de l’ambitieuse loi de transition énergétique qu’elle défend. Pour compenser l’abandon des recettes attendues, la ministre propose de prélever une taxe sur les compagnies exploitant le réseau autoroutier.[2] Cette décision met en évidence une fois de plus le refus des gouvernements de faire confiance à l’intelligence collective des citoyens et l’inefficacité des règles administratives qui en découle. Sa conséquence prévisible? Une augmentation du coût de la transition énergétique.

L’impuissance de l’Etat

Le secteur des transports est essentiel économiquement, et politiquement hypersensible. Qu’il s’agisse de la SNCM, des pilotes d’Air France, des chauffeurs de taxi ou des routiers, toute tentative de changement des règles de contrôle et de rémunération suffit à déclencher grèves et blocages. Si les perturbations récentes dans le transport aérien n’ont gêné qu’une fraction de la population, c’est toute la France qui serait touchée par une (im)mobilisation des routiers. Donc, il suffit qu’ils menacent de manifester partout en France contre l’instauration d’une taxe sur leurs émissions polluantes pour que la ministre du développement durable annonce la suspension de l’écotaxe. Qu’un gouvernement ne soit pas en mesure de faire appliquer les textes votés par la représentation nationale n’est pas nouveau. Mais on touche à la schizophrénie quand le pied enfonce simultanément l’accélérateur des émissions polluantes et le frein des consommations d’énergie.

La transition vers une économie décarbonée

Pour mieux apprécier la problématique de l’écotaxe, il faut replacer la transition énergétique dans son contexte. Les émissions de gaz à effet de serre, en particulier de CO2, sont le résultat de la croissance économique phénoménale dont une fraction de l’humanité a bénéficié au XXème siècle. Si nous voulons limiter les dérèglements climatiques dus à l’effet de serre, il nous faut  inventer un nouveau modèle de croissance, plus économe en énergies fossiles. La tâche est colossale. Personne ne sait vraiment quelles technologies mettre en œuvre, ni à quelle échéance.

La seule certitude est la nécessité d’énormes financements. L’Agence Internationale de l’Energie estime que 44 000 milliards de dollars d’investissement seront nécessaires d’ici à 2050 pour décarboner la production d’énergie.[3] Un investissement de cette ampleur se traduira forcément par une augmentation du prix des énergies. Pour contrôler la hausse de leur facture, les consommateurs devront modifier leur comportement, en particulier investir dans des équipements moins gourmands en énergie. L’humanité trouvera ainsi un nouvel équilibre, plus économe et moins polluant. La transition énergétique est précisément la recherche de ce nouvel équilibre.

Le rôle des gouvernements

Face à cet objectif, les gouvernements ont trois problèmes à résoudre. D’abord, minimiser le surcoût de la transition. L’énergie étant un intrant essentiel dans l’activité économique, plus le surcoût sera faible, moins il pénalisera la croissance et l’emploi. Deuxièmement, il faut éduquer le public, et donc les électeurs, pour que les choix forcés d’aujourd’hui deviennent la norme librement acceptée de demain. Enfin il faut installer des filets de sécurité pour protéger les plus démunis. Un tel chantier est évidemment complexe à réaliser, mais la difficulté est plus politique qu’économique.

En effet, l’analyse économique offre des prescriptions claires en la matière. L’accumulation de CO2 dans l’atmosphère crée un effet externe négatif, le réchauffement climatique, qui n’est pas pris en compte aujourd’hui dans le prix des usages émetteurs de CO2. Le rôle principal des pouvoirs publics est de faciliter l’apparition d’un prix du CO2 dans l’économie, soit par une taxe, soit par la création d’un marché pour des certificats d’émission. Pour minimiser le coût de la transition énergétique, il faut laisser les producteurs et les innovateurs décider des technologies à développer et les consommateurs décider de leurs choix d’équipement, face à des prix qui incluent le coût de leurs émissions polluantes. La diversité des choix individuels, c’est à dire l’intelligence collective, produira certainement une meilleure solution que toute décision administrative. 

Malheureusement, le gouvernement français semble résolu à adopter l’approche la plus inefficace, donc la plus coûteuse. La ministre recule devant des mesures dites d’«écologie punitive », leur préférant des mesures d’«écologie positive». Il faut entendre par là le souci de ne pas limiter l’écologie à de nouveaux impôts et taxes. Mais comment devenir positif, donner des aides à l’isolation des habitations, subventionner les technologies vertes, sans lever des ressources ? Et pourquoi refuser de lever des ressources de façon efficace, c’est-à-dire en faisant payer aux pollueurs la valeur du dommage qu’ils provoquent. En refusant systématiquement de laisser les prix des biens et services refléter le coût social du carbone, la ministre se prive de son meilleur allié dans la lutte contre le réchauffement climatique : la capacité d’adaptation des citoyens, qu’ils soient entrepreneurs ou consommateurs. En tentant de régenter cette formidable transformation sociale qu’est la transition énergétique depuis son bureau, la seule certitude que peut avoir la ministre c’est d’en augmenter le coût.

Deuxièmement, en laissant sous-entendre que ces transformations sont gratuites, que l’augmentation de la facture énergétique n’est pas inéluctable, les gouvernants induisent les citoyens en erreur, au moins par omission. Ceux-ci se sentiront bernés lorsque la facture leur sera présentée. Si l’on annonce une augmentation de 20% des prix de l’énergie à l’horizon 2020, chacun se préparera à ce choc dès aujourd’hui en investissant dans des équipements économes en énergie. Au contraire, avec les discours lénifiants actuels, nous sommes en droit de penser que les prix de l’énergie resteront stables, donc d’investir dans des équipements énergivores. Nous ferons face à un choc difficile à absorber lorsque les prix augmenteront.

Finalement, une avancée majeure de la loi de transition énergétique est le chèque énergie, qui devrait remplacer les tarifs sociaux de l’électricité. Il est important de protéger les plus démunis de notre société, mais les manipulations tarifaires les poussent à des mauvais choix d’énergie ou de moyen de transport. Les prix doivent refléter les coûts, dommage environnemental inclus. C’est par les revenus que doit se faire l’aide aux ménages pauvres. Le chèque énergie va donc dans la bonne direction.

Taxer les routes ou taxer les routiers ?

Pour ne pas se mettre à dos les chauffeurs routiers, la ministre a rayé d’un trait de plume l’écotaxe et décidé de faire payer les sociétés concessionnaires d’autoroutes pour financer les programmes que devait couvrir la dite taxe. Encore une fois, on confond objectifs et moyens. Comme rien ne ressemble plus à 1 tonne de CO2 qu’une autre tonne de CO2, la lutte contre les émissions polluantes passe par un prix unique de la tonne, qu’elle sorte d’une cheminée d’usine ou du pot d’échappement d’un camion. Décider que la tonne émise par le camion est gratuite alors que celle de l’usine est payante[4] est structurellement inefficace, donc coûteux pour la collectivité. Les sociétés autoroutières, aujourd’hui mal régulées, peuvent très certainement payer les sommes attendues.[5] Mais en quoi cela va-t-il réduire le réchauffement ? La ministre proposera probablement d’utiliser les sommes prélevées pour verser des subventions aux camionneurs qui utiliseront des moteurs plus propres, donc au prix d’une double distorsion fiscale. Cette écologie-là est positive pour les entreprises de transport routier, elle est punitive pour les autoroutes, donc très probablement pour les automobilistes.

Obtenir l’adhésion des pollueurs

Oublions le déni de démocratie que constitue l’abandon d’un projet soutenu par la majorité face à la rébellion d’une minorité. Demandons-nous de façon plus pragmatique comment mettre en place le système dès lors que le pouvoir ne veut pas (ou ne peut pas) l’imposer. La réponse est simple : il faut acheter l’adhésion des transporteurs routiers. Le lecteur aura bien compris qu’il ne s’agit pas ici de morale, seulement d’efficacité.

Un bon exemple est celui du Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre.[6] Accepter l’idée que l’atmosphère n’est pas un dépotoir gratuit, que son utilisation doit être payante, a été un choc culturel pour les industriels habitués à rejeter librement leurs fumées.[7] Pour faire accepter le système aux grandes entreprises industrielles européennes principales émettrices, de 2005 à 2012 la plupart des quotas d’émission leur ont été distribués gratuitement. L’allocation s’est faite sur la base des émissions polluantes des années précédentes. Dans ce système, à la fin de chaque année les entreprises doivent prouver que leurs émissions ne dépassent pas l’allocation reçue plus les droits achetés (ou moins les droits vendus) à d’autres assujettis. Attribuer les droits gratuitement est bien un cadeau fait aux industriels émettant des gaz nocifs, mais un cadeau qui a permis de les habituer à l’idée que le carbone a un prix, à en acheter et en vendre, et finalement à traiter les droits à émettre comme n’importe quel facteur nécessaire à la production. Et en janvier 2013, quand plus de la moitié des permis jusqu’alors distribués gratuitement sont passés sous le régime de la vente aux enchères, les seules plaintes que l’on ait entendues sont celles des gouvernements déçus d’encaisser moins de recettes que ce que laissaient espérer ces enchères.

Alors pour les camions, plutôt qu’une taxe, pourquoi pas un prix, d’autant que les portiques de contrôle sont en place pour donner une mesure, même approximative, des volumes rejetés. Avec des quotas momentanément gratuits alloués aux transporteurs, les entreprises s’habitueraient au fait que pour aller d’un point à un autre il faut non seulement du carburant mais aussi des permis pour le brûler. Elles décideraient librement de réduire leurs émissions et/ou de transférer le surcoût aux consommateurs, et finalement elles finiraient par trouver normale l’obligation d’acheter les droits à polluer, comme elles achètent le carburant.

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Forcément punitive et positive à la fois, l’écologie est surtout politique. En remettant en cause les équilibres hérités de la croissance industrielle, l’écologie remet aussi en cause l’équilibre des pouvoirs acquis. Quand les agents économiques concernés n’ont pas de pouvoir de nuisance, les pouvoirs publics ne se gênent pas pour leur imposer leurs solutions, par exemple la Contribution au Service Public de l’Electricité. Pour les autres, c’est plus par la persuasion que par la contrainte que les gouvernements feront internaliser les dommages environnementaux.

 


[4] Par le mécanisme européen des droits d’émission depuis 2005..

[7] Transformer le stationnement urbain gratuit en stationnement payant fut aussi en son temps un choc culturel pour les automobilistes.