Rentrée verte, croissance inerte

1 Septembre 2014

A tout vouloir et son contraire, on ne récolte que déceptions. Chacun conviendra de l’absurdité de chercher au centre de Paris un grand appartement pas cher. Pourtant vingt-huit gouvernements européens (et une dizaine de non européens) sont en train de chercher une croissance continue de leur économie soutenue par une énergie décarbonée, la croissance verte. Décider de décarboner l’économie pour laisser à nos descendants une planète moins sale que celle que nous avons trouvée est en soit un objectif louable, tout comme est louable le souci de faire croître l’économie pour qu’augmentent l’emploi et la richesse de chacun. Mais déclarer que la « verdisation » de l’économie entrainera sa croissance immédiate relève soit de la naïveté, soit de la rouerie. La croissance verte, c’est d’abord une énergie plus onéreuse et, en augmentant le coût de l’énergie, on ne peut que réduire les incitations à investir des entreprises et le revenu distribuable des ménages. Pour le long terme, l’horizon est plus clair. Mais il faudra être très patient.

 

La croissance zéro

Le 14 août, l’Insee a publié son estimation de la croissance française pour le deuxième trimestre 2014 : zéro, comme au premier trimestre. Les journaux ont titré sur la panne des moteurs de l’activité, et les spécialistes interrogés ont dressé la liste des suspects habituels : d’abord, les autres (crise mondiale, stagnation de l’Union européenne, carcan de l’euro, conflit en Ukraine, température clémente), puis nous (pression fiscale et chômage qui dépriment la consommation, crise de confiance et cherté du travail qui ralentissent les investissements, manque d’imagination des pouvoir publics en manque de projet d’avenir). Compte tenu de la gravité de la situation, il est probable que tout le monde a un peu raison. Mais nous n’avons pas vu mis au rang des coupables potentiels le renchérissement de l’énergie. Pourtant, il est une évidence : quand on augmente les coûts afférents à un projet, on réduit sa rentabilité et on rend donc moins probable sa réalisation.

 

Une énergie plus chère

Pour produire de l’électricité, il faut essentiellement deux ingrédients : de la capacité (centrales nucléaires ou thermiques, éoliennes, barrages, panneaux photovoltaïques), et de l’énergie (uranium ou source fossile, vent, eau, soleil). On connait les avantages des trois dernières : elles n’émettent pas de CO2, elles sont gratuites, et elles ne dépendent pas des colères de potentats gaziers et pétroliers. Mais elles présentent des inconvénients, en particulier leur intermittence. Si on veut donc assurer une fourniture d’électricité qui ne dépende pas des caprices de Mère Nature, il faut conserver, prêtes à fonctionner, les centrales conventionnelles. Autrement dit, il peut y avoir substitution d’énergies propres à des énergies polluantes mais on a besoin des deux types de capacité ou, pour utiliser une métaphore maritime, les bateaux à voile doivent être équipés d’un moteur s’ils veulent arriver à l’heure. Tant que les économies en source d’énergie ne compensent pas le surcoût en capacité, la transition renchérit l’électricité. Dépenser plus en équipement pour épargner en énergie est aussi ce qui se passe avec l’isolement des logements et l’hybridation des véhicules terrestres. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, logements mieux isolés et voitures hybrides coûtent plus cher, ce qui explique leur nécessaire soutien par des politiques de prime, au moins à titre transitoire pour encourager leur développement en attendant une baisse de coût par effets d’apprentissage et économies d’échelle.

 

Plus d’emplois, plus de coûts

Les gouvernements insistent sur la création d’emplois qu’on peut attendre de la transition en considérant qu’ils sont à porter à son crédit. Sur le plan politique et social, c’est sans conteste un avantage : mieux vaut des travailleurs que des chômeurs. Par ailleurs, comme il s’agit d’installer et d’entretenir des équipements dispersés géographiquement, de construire ou d’améliorer des logements, ces activités sont très utiles pour maintenir un tissu social à l’échelle des communes. Mais sur le plan économique, un emploi c’est d’abord des salaires et des cotisations, donc des coûts. Et s’il faut plus d’emplois pour réaliser avec des technologies vertes la même performance que celle que l’on réalisait sans elles, on augmente le coût de l’énergie. Ce qui fait la force sociale des énergies décentralisées fait leur faiblesse économique.

 

Un avenir plus vert

Si les gouvernements qui se succèderont dans les prochaines décennies sont assez courageux pour résister aux court-termistes et maintiennent la politique de transition énergétique, une fois celle-ci terminée l’économie placée sur un nouveau sentier technologique repartira à la hausse.[1] Certes, ce sentier donnera des niveaux d’activité plus faibles que le sentier que nous suivions depuis plus d’un siècle,[2] mais c’est le prix à payer pour réduire les risques de changements climatiques irréversibles que pronostique le GIEC. Notons par ailleurs que le sentier suivi depuis plus d’un siècle est considéré comme non soutenable par un nombre important d’économistes, notamment Nicholas Stern qui, dans son rapport de 2006, estime que la non intervention coûterait à jamais entre 5 et 20 points de croissance contre 1% (ultérieurement réévalué à 2%) de réduction du PIB imputable à la lutte contre le réchauffement climatique.[3]

La cure d’amaigrissement énergétique entreprise depuis une dizaine d’année est donc nécessaire et, contrairement à ce que clament les politiques, elle est coûteuse. Pour qu’elle ne fasse pas souffrir inutilement le malade, il faut adopter des mesures efficaces et coordonnées, ce dont on est loin. Et ce n’est pas les projets législatifs actuels qui poussent à l’optimisme.

 

Encore une loi

Le 30 juillet 2014, le Conseil des Ministres a adopté le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Il ambitionne de

  • favoriser l’émergence d’une économie sobre en énergie et en ressources, compétitive et riche en emplois ;
  • assurer la sécurité d’approvisionnement ;
  • maintenir un prix de l’énergie compétitif ;
  • préserver la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre ;
  • garantir la cohésion sociale et territoriale en assurant l’accès de tous à l’énergie.

 

Voici encore un bel appartement parisien bon marché. Pour le trouver et l’acquérir, le gouvernement a prévu de

  • réduire les émissions de gaz à effets de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et les diviser par quatre entre 1990 et 2050;
  • réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à la référence 2012 et porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % d’ici à 2030 ;
  • réduire la consommation énergétique finale des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à la référence 2012 ;
  • porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale  brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ;
  • réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025.

 

En confondant moyens et objectifs, court terme et long terme, politiques sociale, économique et environnementale, ce projet crée des contraintes dont le résultat ressemble fort à un ensemble vide. Le texte, composé de 64 articles, modifie ou complète le Code de l’énergie sur plusieurs points importants que nous analyserons au cours des semaines à venir.

 

 


[1] L’étude macroéconomique des transitions entre différents équilibres technologiques est très difficile. Les économistes ont tendance à se réfugier dans l’étude comparative d’états stationnaires, c’est-à-dire d’économies évoluant sur différentes trajectoires d’équilibre, chacune correspondant à un état donné de la technologie. Mais passer d’un état à un autre, aussi séduisant soit-il, nécessite une transition dans le déséquilibre où toutes les variables macroéconomiques vont devoir s’ajuster. Et si, pour atteindre les verts pâturages, il faut traverser la vallée de la mort, alors peut-être vaut-il mieux ne pas tenter l’aventure.

Dans la deuxième partie de son livre “Capital and Time” (1973, traduit en français chez Economica en‎ 1975) très justement intitulée « Traverse », J. R. Hicks étudie ce difficile problème et explique que les économies ne se trouvent jamais complètement à l’équilibre, mais plutôt en état de transition, le long d’un chemin de traverse.

[2] Pour une synthèse des travaux sur la relation entre rareté de l’énergie et croissance, on se reportera à D.I. Stern « The Role of Energy in Economic Growth” 2010, ccep.anu.edu.au/data/2010/pdf/wpaper/CCEP-3-10.pdf. Dans “The Role of Energy in the Industrial Revolution and Modern Economic Growth » (2012), D.I. Stern et A. Kander présentent une étude économétrique du cas suédois crawford.anu.edu.au/distribution/newsletter/research-newsletter/pdf/Energy-Journal-Stern.pdf.