Mieux conditionner les aides aux agriculteurs

18 Janvier 2018 Politiques publiques

L'agriculture française reçoit 10 milliards d'euros par an de subventions sans justification économique véritable ! Les arguments habituels - indépendance alimentaire, aménagement du territoire - ne sont étayés par aucune étude sérieuse. A titre de comparaison, le plan visant à couvrir en dix ans tout le territoire en Internet très haut débit requiert un financement public de 6,5 milliards d'euros, soit un semestre de subventions agricoles.
Bien sûr, les supprimer mettrait un grand nombre d'agriculteurs dans le rouge, réduirait nos excédents commerciaux, obligerait les ménages à dépenser plus pour leur alimentation. Cela signifie qu'on ne peut remettre en cause que progressivement ce dispositif, mais cela ne constitue en rien une justification.

Taxer de manière juste

A contrario, le principe « pollueur-payeur » devrait conduire à taxer l'agriculture d'une somme presque équivalente ! La filière serait responsable de près de 15 % de nos émissions de gaz à effet de serre, soit une externalité négative de 4 milliards d'euros par an. Selon des travaux récents, le gain pour la santé d'une alimentation moins chargée en viande serait supérieur à ces dégâts environnementaux (1).
Il faudrait donc également taxer significativement certaines productions pour des raisons de santé. En pratique, nous faisons l'inverse : les agriculteurs sont en grande partie dispensés de payer les taxes environnementales, un aliment comme la charcuterie se voit appliquer un taux de TVA allégé, alors même qu'il est déclaré cancérigène par l'OMS.

S'interroger sur certaines subventions

Pour autant, la situation évolue dans le bon sens. La politique agricole commune a d'abord été ciblée sur les prix - responsable dans les années 1980 d'offres excédentaires et déstabilisatrices, avant d'évoluer autour des années 2000 vers un paiement à la surface, « découplé » de la production et sans le moindre fondement économique autre que de soutenir à bout de bras notre agriculture.

Néanmoins, sur la période récente, celle-ci a été en partie réorientée vers des interventions ciblées, et une vraie réflexion a été engagée. L'Inra a dressé récemment une synthèse des « services rendus » par l'agriculture afin de les confronter à ses coûts environnementaux (2). C'est une piste à suivre pour identifier des formes d'agriculture méritant subventions.

Telle est sans doute le cas d'une partie des aides à la vache allaitante, activité dont le bilan pour la collectivité pourrait effectivement être positif : ces bovins polluent en émettant du méthane, constituent une alimentation plutôt nocive pour l'homme, mais entretiennent les pâturages, capteurs de carbone et foyers de biodiversité. Au total, près de 10 % de la PAC sont réservés aux « aides couplées » adossées à des justifications précises.

Suivre le modèle américain

La majeure partie de cette politique reste cependant fondée sur une vision conservatrice, via des « droits à paiement » fonction de l'historique : un exploitant agricole touche d'autant plus de subventions qu'il en a reçu dans le passé ! Ce dispositif va être en partie corrigé d'ici à 2019, mais cela reste insuffisant face aux enjeux de la conversion à une agriculture durable.
Il faut le déclarer en « extinction » et identifier un horizon à partir duquel la PAC devra se limiter à trois types d'outils : des taxes et subventions fonction des impacts sur l'environnement et la santé, des mécanismes facilitant l'accès aux financements et à l'assurance, et un filet de protection sociale pour aider les agriculteurs en difficulté.

Les Etats-Unis, qui ne sont pas un exemple loin de là, ont su s'engager dans cette voie en 2014 en supprimant tout paiement direct aux agriculteurs pour les remplacer par des mécanismes de garantie et des programmes d'incitation à la préservation de l'environnement. Evoluer dans ce sens suppose de convaincre nos partenaires européens en vue de la prochaine PAC.

(1) Springmann, M., Godfray, H. C. J., Rayner, M., Scarborough, P. (2016), « Analysis and valuation of the health and climate change cobenefits of dietary change », « Proceedings of the National Academy of Sciences, 113 (15) », p. 4146-4151.

2) Dumont B. (coord.), Dupraz P. (coord.), 2016, « Rôles, impacts et services issus des élevages en Europe. Synthese de l'expertise scientifique collective », Inra (France)

Tibi A., Therond O. (2017). « Evaluation des services écosystémiques rendus par les écosystemes agricoles. Une contribution au programme EFESE. Synthese du rapport d'étude », Inra (France), 118 pages.


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