L’hydrogène va progressivement trouver sa place au sein du mix énergétique. C’est le pari que font nos gouvernants en Europe à coups de milliards d’euros d’investissement. Pour l’instant, on en est aux pétitions de principe sur le fait que ce sera un jour un vecteur d’énergie « propre, sûre et abordable ». Il reste encore à trouver la plus rentable des diverses méthodes utilisables pour sa production et sa distribution, et dans quel type d’usage il peut remplacer avec profit les autres formes d’énergie.
Des milliards sur la table
La vedette de l'été 2020 sur la scène énergétique est sans conteste l'hydrogène. En juin, l’Allemagne annonçait que sur les 130 milliards d’euros de son plan de relance post-Covid, 9 milliards seraient dédiés aux investissements dans les technologies de l’hydrogène, avec pour objectif affiché de devenir leader mondial dans ce secteur. Le plan français de 2018 et ses 100 millions d’euros par an font pâle figure en comparaison. De nombreuses voix se sont élevées pour que le gouvernement français suive l’exemple allemand, voire que les deux pays fassent alliance dans ce secteur.
En juillet, c’était au tour de la Commission européenne de faire connaitre sa stratégie. On sait que la politique de l’Union européenne est de donner la priorité aux sources d’énergie non émettrices de CO2. La Commission veut donc développer la part de l’hydrogène produit à partir de sources renouvelables. Partant de 1GW d’électrolyseurs déjà installés dans l’Union européenne, mais alimentés surtout par des sources carbonées (charbon ou au gaz naturel), il s’agit de porter le parc à au moins 6 Gigawatt d’électrolyseurs utilisant des énergies renouvelables d’ici à 2024 pour produire 1 million de tonnes « d’hydrogène renouvelable », puis entre 2024 et 2030, produire 10 millions de tonnes grâce à l’installation de 40 Gigawatt de capacité. Pour appuyer son plan qui nécessitera des centaines de milliards d’euros de financement, la Commission lance l’Alliance européenne pour l’hydrogène propre qui doit associer les acteurs privés et publics, nationaux et locaux, pour coordonner les investissements dans ce nouveau secteur : quel calendrier, quelle technologie, quelle puissance d’électrolyseurs ?
Le 3 septembre 2020, l’hydrogène remontre le bout de son numéro atomique dans le plan de relance présenté par le Premier ministre français qui prévoit une enveloppe de deux milliards d’euros pour des investissements au cours des deux prochaines années, 7 milliards d’ici 2030. A cette politique d’offre s’ajoute un soutien à la demande par des prix de rachat garantis similaires à ceux dont ont bénéficié les électrons issus des énergies éoliennes et solaires. Un mécanisme qui s’est avéré couteux mais efficace tant pour développer un parc de production d’éoliennes et de panneaux photovoltaïque que pour réduire le coût de ces sources d’énergie.
Ces programmes publics ont plusieurs objectifs : i) décarboner la production pour les industries qui ne peuvent se passer d’hydrogène (raffinage du pétrole, production de fertilisants), ii) élargir les usages aux transports, à la construction immobilière, à la production électrique et, dans les aciéries, en complément ou remplacement du gaz naturel et iii) développer un leadership mondial sur les technologies liées à l’hydrogène. Mais tous ces milliards ne vont-ils pas tomber dans un nouveau tonneau des Danaïdes ?
Un peu de technique
L’hydrogène, vous ne pouvez pas le manquer : c’est le premier, en haut à gauche quand vous entrez dans la table de Mendeleïev. C’est l’élément le plus important dans l’univers, en masse et en nombre d’atomes. Sur la Terre, il est surtout présent à l’état d’eau, vapeur ou glace après combinaison avec l’oxygène, d’où le nom de « formeur d’eau » donné par Lavoisier. Pour le récupérer, la solution la plus immédiate devrait donc être la séparation du dioxygène et du dihydrogène gazeux par électrolyse de l’eau. Mais, pour l’heure, plus de 90% de l’hydrogène industriel est produit par extraction chimique d’hydrocarbures fossiles, donc avec émission de gaz à effets de serre. En ce qui concerne l’électrolyse, sa propreté environnementale dépend de l’énergie utilisée. Les combustibles fossiles sont donc à proscrire. Une fois produit, l’hydrogène peut être transporté sous forme gazeuse (plus ou moins comprimée) ou liquide (à
Pour faire court, l’hydrogène n’existe (quasiment) pas à l’état naturel, donc il faut de l’énergie pour le produire, il est très encombrant à l’état gazeux et a un très faible pouvoir énergétique, donc il faut le comprimer, voire le liquéfier, puis le distribuer et le retransformer pour en faire une énergie utilisable. Avec les technologies disponibles aujourd’hui, le rendement de la double conversion électricité
Du côté des coûts
Pour l’heure l’hydrogène renouvelable (2.5-5.5 €/kg) n’est pas compétitif face à celui qui est produit en utilisant des ressources fossiles (environ 1.5 €/kg, hors coût du CO2). Même si on ajoute la capture et la séquestration du carbone, ces dernières arrivent à environ 2 €/kg.[2] Le pari d’un développement d’une filière hydrogène propre repose sur la chute du coût des électrolyseurs. Ils ont déjà baissé de 60% sur les dix dernières années, et la Commission européenne attend une division par deux d’ici 2030 grâce aux économies d’échelle.
L’avantage de l’hydrogène par rapport à l’électricité est qu’on peut le mettre dans des citernes, voire l’injecter dans des réseaux. Donc on peut le déplacer dans le temps (stockage) pour les moments difficiles, le transporter vers les lieux en manque d’énergie, et s’en servir pour faire tourner les moteurs de tous les véhicules. Examinons ces différents usages.
Stockage : Pour rendre profitable la double conversion électricité/hydrogène il faut de fortes différences de prix, suffisantes pour que l’écart entre les ventes à prix élevés et les achats à prix faibles couvrent les coûts d’installation et de maintenance. Sur un cycle journalier, ce peut être rentable pour répondre aux pointes de début et fin de journée si elles sont fortes. Mais là où l’hydrogène peut faire une différence avec les batteries c’est pour le stockage à plus long terme, hebdomadaire, mensuel ou saisonnier. Il fait partie des solutions pour se passer des énergies fossiles dans un mix électrique 100% renouvelable, à condition que le différentiel de prix entre stockage et déstockage soit suffisamment rémunérateur.
Transport d’énergie : Les lieux les plus fortement ventilés ou ensoleillés ne sont pas forcément les plus peuplés. L’hydrogène et les carburants à base d’hydrogène permettraient de transporter l’énergie des renouvelables sur des milliers de kilomètres entre les lieux de production (à faible demande, donc bas prix) et les lieux de consommation (à faible production, donc prix élevés), par exemple en Australie, en Amérique latine, ou entre l’Afrique du nord et l’Europe. Mais ici encore le coût de l’infrastructure à installer et entretenir, les pertes dans le transport et celles de la double conversion restent plus élevés que ceux de la construction de lignes à haute tension.[3]
Carburant : Le moteur à hydrogène est soit un moteur à combustion interne utilisant le dihydrogène comme carburant, soit un moteur électrique branché sur une pile à combustible. Dans les deux cas, en combinant l’hydrogène avec l’oxygène de l’air on produit de l’énergie et de l’eau. La propreté de cette conversion en fait la solution rêvée pour le transport urbain, à supposer que l’hydrogène ait été produit par des sources propres. Par rapport aux véhicules électriques «tout batterie », le gros avantage de ceux qui sont équipés d’un moteur à hydrogène est la rapidité de la recharge, à supposer qu’il existe un réseau dense de stations. L’inconvénient, non négligeable, est le volume et le poids du réservoir bien supérieurs à ceux des réservoirs d’essence et gasoil.
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Les électrolyseurs sont une chose, leur alimentation en électricité verte en est une autre. Les plans évoqués semblent faire l’impasse sur les investissements en éoliennes et panneaux photovoltaïques nécessaires pour séparer l’hydrogène et l’oxygène, en moyens de stockage et de distribution, puis en équipements de reconversion aux points de consommation stationnaires ou mobiles. En France, l’alimentation des électrolyseurs par les centrales nucléaires est une solution qui, à défaut d’être ‘verte’, est décarbonée. Mais à terme, la multiplication des unités de production renouvelable décentralisées de faible puissance va créer des tensions pour l’occupation de l’espace, terrestre et maritime.[4]
Après avoir soutenu les énergies renouvelables et les voitures électriques, l’Allemagne et la France parient sur l’hydrogène pour concilier décarbonation de l’économie et progrès technique. C’est un pari coûteux et risqué. Un des gains serait le leadership technologique sur une ressource essentielle du mix énergétique, à condition que les tarifs d’achats garantis ne favorisent pas le développement d’une filière à bas coût hors d’Europe comme cela a été le cas pour les panneaux photovoltaïques en Chine. Mais l’urgence climatique exige aussi que les pays émergents sortent rapidement des énergies fossiles, donc qu’on y diffuse largement les technologies décarbonées.
[1] Agence internationale de l'énergie, ‘’The Future of Hydrogen. Seizing today’s opportunities”, June 2019.
[2] Source : Commission européenne.
[3] Sur l’hydrogène comme moyen de transport de l’énergie électrique, voir l’article de J.O’.M. Bockris « The hydrogen economy: Its history», International Journal of Hydrogen Energy (2013), 38, p. 2579-2588.
[4] Un sujet que nous avions évoqué dans « 100% d'énergies renouvelables : le climat dans le prétoire ».