L’activité citoyenne, une alternative aux partis populistes ?

21 Décembre 2018 Economie politique

Quels sont les facteurs qui conduisent à la montée du populisme ? Les partis populistes s’opposent souvent aux élites dans leurs sociétés au nom du « peuple », mais depuis les analyses d’Alexis de Tocqueville, nous savons qu’il n’y a pas que la masse du peuple qui puisse constituer un contre-pouvoir aux élites. Il y a aussi la société civile – les associations, les ONG, les syndicats… les fameux « corps intermédiaires » – qui crée un espace dans lequel les citoyens peuvent exprimer une identité collective et poursuivre des projets collaboratifs.

Jusqu’ici, il a été difficile de savoir dans quelle mesure une société civile vigoureuse est perçue par les électeurs comme une alternative aux partis populistes. Une étude qui vient d’être publiée donne des résultats fort intéressants à ce propos (« Populism and Civil Society », Tito Boeri, Prachi Mishra, Chris Papageorgiou et Antonio Spilimbergo, Centre for Economic Policy Research, Discussion Papers, n° 13306, novembre 2018). Les auteurs se servent de plus de 60 000 réponses des participants à l’European Social Survey (ESS) dans 17 pays sur plusieurs années. Cette enquête pose des questions aux participants sur leurs valeurs, leurs votes aux dernières élections et leur appartenance à des organismes associatifs, hors partis politiques, églises et autres organismes religieux.

Symptôme de résistance

Pendant la période suivant la crise financière de 2008, les personnes se déclarant adhérentes à des associations ont une probabilité de 3,2 % moins élevée que les non-adhérents de voter pour des partis politiques dits « populistes » (suivant une typologie des partis largement utilisée par les chercheurs en science politique). Cet écart n’est pas négligeable, étant donné que les partis populistes n’ont, pendant cette période, récolté qu’entre 10 et 15 % des voix selon le pays et l’année. L’activité participative reste donc un facteur important dansla résistance à l’attractivité des partis populistes que les partis populistes n’ont, pendant cette période, récolté qu’entre 10 et 15 % des voix selon le pays et l’année.

L’analyse détaillée montre que l’adhésion à un syndicat est moins associée à un moindre vote pour les partis populistes que l’adhésion à d’autres types d’association. Peut-on en conclure que le fait de s’exprimer et d’agir dans le milieu associatif donne aux électeurs une alternative aux partis populistes ? Pas encore. Il serait possible que les gens qui, par leurs caractéristiques personnelles, sont plus enclins à participer aux organismes associatifs, soient aussi moins enclins à écouter les messages des partis populistes. Leur participation aux associations serait un symptôme de leur résistance au populisme et non pas une cause.

Conscients de ce possible biais, les chercheurs ont examiné d’autres facteurs qui pourraient expliquer la corrélation entre la participation aux organismes associatifs et le vote favorable ou défavorable aux partis populistes. Plusieurs variables sont citées dans les enquêtes ESS, et ont été testées par les auteurs : l’aversion au risque, une expérience récente du chômage, l’hostilité aux immigrés et… le temps passé à regarder la télévision, entre autres. L’inclusion de ces variables diminue sensiblement (de 25 % environ) la corrélation constatée, sans pour autant la faire disparaître. Il semble plausible que l’activité participative reste donc un facteur important dans la résistance à l’attractivité des partis populistes.

Cependant, les activités associatives telles qu’elles sont repérées par l’ESS varient beaucoup d’un pays à l’autre et d’une période à l’autre. Les associations américaines sur lesquelles Tocqueville attirait l’attention de ses lecteurs sont sans doute très différentes de l’activité des associations du XXI e siècle en Europe, notamment parce que les citoyens disposent maintenant d’outils de communication inimaginables à l’époque de Tocqueville. Mais grâce à des études comme celle-ci, nous ne pouvons plus douter de l’intérêt d’étudier les retombées politiques de l’activité citoyenne en dehors des circuits politiques traditionnels.