Interdire les pubs pour la malbouffe ?

1 Octobre 2017 Santé

Les marchés de la malbouffe sont la plupart du temps dominés par un nombre restreint d’entreprises qui vendent plusieurs marques et investissent massivement dans la publicité. Une interdiction des publicités faisant la promotion de la malbouffe — comme les sucreries ou les sodas — contribuerait-elle à enrayer la hausse du taux d’obésité ? Pierre Dubois, professeur à TSE, a analysé les chiffres relatifs aux chips et les effets complexes que peut avoir la publicité sur les prix et le comportement des consommateurs.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et d’autres organismes publics ont demandé à ce que les publicités faisant la promotion de la malbouffe soient soumises à des restrictions. Le succès de telles restrictions en ce qui concerne la promotion d’une alimentation plus saine est déterminé par la manière dont la publicité influe sur le choix des consommateurs et par la façon dont les entreprises réagissent face à une interdiction de la publicité. Il est également nécessaire de savoir si la publicité rend la demande plus sensible au prix et si les entreprises réagissent de manière stratégique face à ces restrictions, par exemple en baissant leurs tarifs.

Dans un article publié récemment, Pierre Dubois évalue dans quelle mesure la publicité influe sur la demande pour différentes marques de chips au Royaume-Uni. Avec l’aide de ses co-chercheurs, Rachel Griffith et Martin O’Connell, il s’appuie sur ces estimations pour simuler l’impact d’une interdiction de la publicité, en prenant en compte la réaction des consommateurs, mais également l’évolution des prix.

Estimer les effets

Pour estimer de manière empirique et fiable les liens de causalités entre la publicité et le choix des consommateurs, Pierre Dubois a cherché à savoir dans quelle mesure les individus étaient exposés aux publicités pour les chips, en tenant compte du créneau horaire et de la chaîne de télévision choisis par les différentes marques et le comportement des consommateurs en tant que téléspectateurs. L’équipe de Pierre Dubois a pu ensuite analyser les données de panel à la recherche de plusieurs facteurs de confusion.

Les marques peuvent choisir d’adopter une stratégie de publicité persuasive pour gagner des parts de marché au détriment de produits concurrents, ou une stratégie de publicité coopérative, de manière à ce qu’une publicité plus présente pour un produit particulier accroisse la demande pour d’autres produits. Les spécifications définies par Pierre Dubois pour la demande permettaient d’établir différentes configurations : publicité persuasive, publicité coopérative ou les deux.

Rares sont les individus qui oublient instantanément les publicités qu’ils voient. Pierre Dubois a donc également pris en compte le fait que la publicité pouvait influer sur la demande de façon immédiate ou à retardement. Grâce à son modèle de fixation des prix, il a pu identifier la manière dont les entreprises ajustent leurs tarifs face à une interdiction.

La demande de consommateurs

Les recherches de Pierre Dubois démontrent que la publicité décourage les consommateurs à acheter des chips plus saines. Elle diminue la sensibilité de la demande au prix et encourage les individus à choisir de plus gros paquets. Pierre Dubois a également trouvé des preuves de l’existence d’une publicité prédatrice et d’une publicité coopérative. Dans l’ensemble, la publicité accroît la taille du marché.

Si la publicité est interdite et si les entreprises ne réagissent pas en modifiant les prix, Pierre Dubois estime que la quantité totale de chips vendues diminuera d’environ 15 %, entraînant par ailleurs une diminution équivalente de l’énergie, des graisses saturées et du sel contenus dans ces chips. Ces bénéfices pour la santé seront en partie minimisés par l’attitude des individus qui, selon les observations, auront tendance à choisir un autre type de malbouffe plutôt que des en-cas plus sains.

La réaction des entreprises

Les entreprises seraient incitées à modifier leurs prix pour répondre à une interdiction de la publicité. La publicité restreint l’élasticité de la demande ; interdire la publicité augmente donc la sensibilité de la demande au prix et encourage les entreprises à baisser leurs tarifs. Il s’agit là d’un comportement intuitif, explique Pierre Dubois : interdire la concurrence publicitaire accroît la concurrence tarifaire

Les entreprises réagissent à une telle interdiction en baissant leurs tarifs, un comportement qui entraîne une diminution des prix du marché de 4 % en moyenne et compense la diminution de la demande en chips directement causée par l'absence de publicités. Ainsi, la diminution de la demande en chips est ramenée à 10%, un tiers de moins que si les prix avaient été maintenus.

Quelques éléments de réflexion à se mettre sous la dent

Les recherches de Pierre Dubois montrent qu’une interdiction de la publicité pour les chips entraînerait une baisse de la consommation du produit et aurait donc des effets bénéfiques sur la santé. Mais ces effets bénéfiques seront limités par le comportement des entreprises, qui baisseront leurs prix, et par celui des consommateurs, qui remplaceront les chips par un autre type de malbouffe.

Son analyse repose sur une modélisation précise des canaux par lesquels la publicité peut influencer les demandes des consommateurs. Il estime toutefois avoir besoin d’éléments de recherche plus précis quant à la nature persuasive, informative ou complémentaire de la publicité pour compléter cette analyse et évaluer de façon affirmative les effets sur la santé.