Définir le prix payé à l’agriculteur à partir du coût de production soulève de grandes difficultés

6 Novembre 2017 Alimentation

Le président de la République a clôturé le 11 octobre le premier chantier des Etats généraux de l’alimentation consacré à la création et à la répartition de la valeur entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Il a dressé un diagnostic pertinent. Tout d’abord, certains agriculteurs ne peuvent pas se rémunérer correctement (un rapport de la Mutualité sociale agricole du 10 octobre le confirme). Ensuite, il existe un manque de structuration dans certaines filières. Enfin, les prix de détail sont déconnectés des coûts de production.
En revanche, on peut douter de l’efficacité des deux mesures principales qu’il a proposées, qui devraient entrer en vigueur par ordonnance « au premier semestre 2018 ».
Premièrement, il a indiqué que la formation du prix de détail serait inversée : le prix payé à l’agriculteur sera défini à partir de son coût de production, au lieu de l’être en fonction de la marge que veut empocher le distributeur ou l’industriel, afin d’inverser les rapports de force.
Deuxièmement, il s’est dit favorable au relèvement du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires, c’est-à-dire le prix minimum en dessous duquel les distributeurs n’ont pas le droit de vendre, afin de réduire les effets dévastateurs de la guerre des prix menée par les enseignes de la distribution.

Imposition d’un prix de revente minimal

On peut d’ores et déjà douter de l’utilité d’un relèvement du seuil de revente à perte. La loi Galland avait déjà relevé ce seuil en 1996 dans le même objectif d’instaurer un équilibre entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Mais cette loi a conduit à une hausse des prix de détail sans pour autant rééquilibrer les rapports de force entre acteurs, et a progressivement été abandonnée, notamment dans la Loi de modernisation de l’économie de 2008.
En outre, le relèvement du seuil de revente à perte avait autorisé l’imposition d’un prix de revente minimal, au profit de certains producteurs ou de certains producteurs et distributeurs. Or cette pratique est généralement considérée comme anticoncurrentielle et interdite à ce titre (comme indiqué dans les décisions de l’Autorité de la concurrence 03-D-45
On peut également douter de l’efficacité de la proposition de partir du coût de production des agriculteurs pour définir le prix qu’ils reçoivent. Dans la grande distribution alimentaire, les prix de détail peuvent être déconnectés des coûts de revient. Par exemple, il est tout à fait possible que les marges d’un distributeur soient minimes sur une pâte à tartiner, mais élevées sur des pommes. En l’absence de lien apparent entre les prix de détail et les coûts de revient, faut-il parler de guerre des prix ?

Secteur très concentré

Un distributeur est une entreprise multiproduits et les consommateurs achètent un panier de consommation composé de plusieurs produits. Ceci peut expliquer ces différences de marges (et même l’existence de vente à perte pour certains produits, c’est-à-dire en dessous du seuil de revente à perte). Elles peuvent résulter du fait que certains produits font l’objet d’achats réguliers tandis que d’autres sont achetés de façon plus incertaine ou impulsive.
Elles peuvent également s’expliquer par le fait que certains consommateurs regroupent leurs achats au sein d’un seul et même point de vente, tandis que d’autres complètent leurs achats dans d’autres points de vente spécialisés. On ne construit donc pas nécessairement un prix de détail à partir d’un coût de revient dans le secteur de la grande distribution alimentaire. En outre, la grande distribution est un secteur très concentré et les choix des consommateurs en matière d’enseignes au niveau local peuvent être limités (voir notamment l’avis 15-A-06 de l’Autorité de la concurrence).
La proposition de définir le prix payé à l’agriculteur à partir du coût de production soulève d’autres difficultés. Par exemple, la transparence des marchés à l’amont risque de favoriser la substitution entre les producteurs, sans pour autant leur redonner du pouvoir. D’autres écueils sont également à prévoir. En particulier, dans l’application des mesures, quelle est la différence entre une entente sur un coût de production, dès lors que celui-ci sert de référence dans le calcul du prix de vente, et une entente sur un prix de vente ? L’entente sur les prix est une pratique généralement considérée comme anticoncurrentielle et interdite à ce titre.

Voie alternative

Le manque de structuration des filières agricoles a été un élément de diagnostic dégagé lors des Etats généraux et amplement discuté. Par exemple, les filières doivent se structurer afin de répondre à la demande d’autres circuits de distribution – circuits courts, restauration collective ou restauration hors domicile – avec un objectif de montée en gamme (produits biologiques, etc.).
A l’instar de ce que certains acteurs ont développé récemment, tels que la marque « C’est qui le patron »  , la restructuration d’une filière et la rémunération correcte des agriculteurs a un coût, mais sûrement inférieur aux coûts qui vont résulter des mesures proposées.

Article publié dans  © MONDE ECONOMIE