Combattre le dérèglement climatique

21 Décembre 2018

Le GIEC dresse, rapport après rapport, un constat très alarmant sur l’évolution du climat. Pour limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, l’humanité se devait de ne pas émettre plus de 3.000 gigatonnes de CO2. Or, nous en avons déjà émis 2.200 depuis l’avènement de l'âge industriel et en émettons 42 par an, un record historique malgré l’Accord de Paris. Le calcul est simple et terrifiant : si rien n’est fait, le seuil sera dépassé en 2038. Et ce ne sont pas les ressources carbonées qui manquent, puisque l’exploitation du stock combiné de pétrole, gaz et charbon encore sous terre générerait 20.000 gigatonnes de CO2 de plus dans l’atmosphère, de quoi cuire la planète à grand feu !

 

Un problème de passager clandestin et de fuites de carbone

Malgré l’urgence climatique, les grandes puissances économiques continuent de se renvoyer la balle ; chacune espère hypocritement que les autres résoudront le problème à sa place. Cette situation, classique en économie, renvoie au « problème du passager clandestin » : Lorsque l’essentiel de ses propres efforts bénéficie aux autres, chacun a intérêt à ne rien faire, au détriment de l’intérêt général. Chaque pays attend que les autres sauvent la planète, mais in fine l’humanité fonce dans le mur, en appuyant sur l’accélérateur. Il faut aussi dire que le manque d’ambition de l’Accord de Paris et les doutes forts sur la crédibilité des engagements qui y sont consignés n’encouragent guère à l’action.

 

La solution ne peut être que globale. Ce n’est pas un hasard si l’argument avancé le plus souvent par les industriels pour s’opposer à une politique climatique au niveau national est celui d’une perte de compétitivité. Réduire les émissions représente un coût important pour eux et leurs consommateurs. Il faut reconnaître aussi que si la France devait faire cavalier seul, le gain pour la planète serait faible du fait de ce que les experts appellent les “fuites de carbone” : la pénalisation des activités polluantes en France n’aurait pour effet que de transférer ces activités vers des pays moins scrupuleux.

 

Responsabiliser

Dans toutes les universités du monde, les économistes enseignent que la solution au problème du passager clandestin est l’application du principe “pollueur-payeur”. Dans cet esprit, la plupart d’entre eux militent depuis des années pour un prix universel du carbone, unique et mondial. C’est un mécanisme simple, sûr et transparent pour réduire les émissions. Si ce prix est égal à la valeur actuelle des dommages générés par les émissions, chacun est incité à intégrer dans ses choix les conséquences sur le bien-être des autres. La tarification du carbone responsabilise les acteurs. Et le caractère universel du prix élimine à la fois le problème des fuites de carbone et les émissions excessives pour consommation interne. Deux mécanismes d’application du principe “pollueur-payeur” sont envisageables : une taxe carbone ou un marché mondial de permis d’émissions. Pour compenser les pays les plus pauvres, on devrait instituer des compensations financières, par exemple en leur offrant une part prépondérante dans l’allocation initiale des permis d’émission.

 

De timides initiatives locales

Un prix du carbone a été instauré dans de nombreux pays. Malheureusement, de niveau trop faible (sauf en Suède et en Suisse) et limité dans son champ d’application, il a peu d’effets. Le marché européen de droits d’émission négociables, instauré en 2005, a retrouvé cette année une partie de son lustre après dix ans de prix extrêmement bas. La tonne de CO2 a atteint 20€ cet été, ce qui est encourageant, mais largement insuffisant pour tenir compte des dommages climatiques futurs. Il y a un débat au sein des économistes de l’environnement sur quel est la valeur actuelle des dommages futurs induits par l’émission d’une tonne supplémentaire de CO2. William Nordhaus, un des deux lauréats du prix Nobel d’économie cette année, qui a travaillé sur le sujet depuis les années 70, suggère que ce prix de 20€ n’est pas loin de cette juste valeur. Nos propres recherches à la Toulouse School of Economics, dans lesquels l’intérêt des générations futures et les incertitudes profondes du système climat-économie à long terme sont mieux pris en compte, suggère plutôt un prix du carbone autour de 40€, croissant à un taux de 4% (plus inflation) par an dans les décennies à venir. La situation actuelle en Europe est donc plutôt celle d’un principe « pollueur-demi-payeur » donc ! De plus, cette politique manque d’ambition dans la mesure où elle concerne uniquement la production d’électricité au sein de l’Union. Les transports, les importations, la construction, l’industrie, l’élevage et l’agriculture ne sont ainsi pas concernés.

 

Une solution et un Nobel

Faire fonctionner un prix carbone universel sur une base du volontariat se heurte à l’avantage économique que tirent les pays à ne pas appliquer ce prix du carbone, permettant à leurs industries polluantes de produire à coûts artificiellement bas, à l’image de la politique climatique du président américain. On retrouve ici le phénomène du passager clandestin.

Une proposition a été faite ces dernières années par William Nordhaus : quelques pays climatiquement vertueux pourraient s’accorder pour appliquer un vrai prix du carbone de façon commune à leurs économies, et imposer une taxe de l’ordre de 5% pour toute importation en provenance de l’extérieur de cette “coalition carbone”. Outre le fait que cette taxe éliminerait le problème des fuites de carbone, elle constituerait une puissante incitation à entrer dans cette coalition. La difficulté est de former une coalition initiale suffisamment grande pour que les bénéfices d’une intégration à cette coalition initiale deviennent une évidence pour les autres pays. Il ne manque que le courage politique, quelques pays volontaires et une réforme des règles du commerce international (cette dernière devant, en ces temps de protectionnisme débridé, être validée par l’OMC sur la base d’une logique de dumping environnemental). Tenter de persuader les individus, entreprises et administrations à se comporter de façon écologique est une bonne idée, mais les effets de cette stratégie mise en œuvre depuis le constat de la Conférence de Rio en 1992 ont été minimes. Il est temps de prendre courageusement nos responsabilités et de protéger l’avenir de notre planète.

Qu’attendons-nous ?